Le souffle du Pape François le précède et arrive au Liban, victime d’un «coup d’État rampant»

0
556

(Rome le 28 février 2021). Le discours du patriarche devant des milliers de Libanais a été si courageux qu’il a marqué un tournant dans l’histoire du christianisme oriental, toujours orienté à s’incliner devant la protection du sultan de service par crainte d’une pire fin. C’est assez, dit-il.

Comment se fait-il que la dénonciation du cardinal Bechara Rai pour qui il y a quelque chose de similaire à un coup d’État rampant au Liban, n’ait pas un grand écho ? Le cardinal est également le Patriarche de la plus grande église du monde arabe. Les innombrables renforcements de notre amitié pour les «Chrétiens d’Orient» ne sont-ils pas à la hauteur ? C’est peut-être son appel aux jeunes pour qu’ils poursuivent les manifestations de rue dans le style du printemps arabe – c’est-à-dire de masse et non violentes – qui a créé l’appréhension.

Les grandes orientations politiques occidentales n’ont pas regardé avec beaucoup de passion le «printemps arabe». Pour l’antagonisme de gauche, il était en fait une créature américaine contre les grands anti-américains du monde, Kadhafi, Assad, Khomeiny. Pour l’identité pseudo-chrétienne et pseudo-occidentale, il était une créature du terrorisme islamiste, que seuls des hommes forts auraient pu apprivoiser.

Le Patriarche Bechara Rai au cours des dernières années a pu parler avec ces deux orientations: il a substantiellement soutenu Assad en disant sur la place syrienne que se battre pour la démocratie ne vaut pas le coût d’une seule vie humaine, il a compris les raisons de ces chrétiens qui croyaient devoir chercher une protection. Plus maintenant. Bechara Rai, en tant que patriarche de la principale église arabe, a vu les alliés chrétiens des dirigeants au pouvoir mettre en péril la survie même de son pays. Or depuis l’explosion du port de Beyrouth le 4 août de l’année dernière, le pouvoir n’a pas été en mesure de former un gouvernement, un pays sans électricité, une monnaie qui ne vaut plus rien (le dollar est passé de 1.500 Livres à plus de 8.000 Livres), avec les armes du Hezbollah qui tuent en toute impunité, encore une fois, maintenant qui sait dire que la vérité que nous connaissons sur le port: ce nitrate d’ammonium avait été introduit en contrebande à Beyrouth par le Hezbollah afin d’aider Assad dans sa guerre contre les Syriens.

Le Patriarche Bechara Rai a compris que cet intellectuel, le dissident chiite Loqman Slim, a été tué par le Hezbollah et s’est demandé si un État ne pouvait pas avoir le contrôle des armes sur son territoire, si un peuple ne pouvait pas demander que le pouvoir judiciaire ne soit pas politisé (le magistrat enquêtant sur l’explosion dans le port de Beyrouth a été démis de ses fonctions, alors qu’on ne sait toujours rien sur l’assassinat de Loqman). Le patriarche a eu la force et le courage de comprendre qu’en dépit de ses peurs compréhensibles du passé, il devait parler aux Libanais, et il l’a dit. « L’Etat ne se construit pas avec l’équilibre des forces, mais avec la force de l’équilibre », a-t-il martelé, appelant à une conférence internationale pour sauver le Liban.

Bechara Rai a appelé à un « Liban souverain et neutre ». Ce mot, neutralité, a fait de lui le sujet d’attaques violentes du Hezbollah. Mais tout le monde sait ce que cela signifie. Dans la guerre entre panarabistes et panislamistes, entre fanatisme nationaliste et fanatisme religieux, le Liban est neutre. Il a toujours été neutre. S’engager dans un domaine ou dans un autre conduit à la mort du Liban qui n’est pas un pays riche en substances du sol ou du sous-sol, mais de ses libertés que les pays riches n’ont pas.

Le discours du Patriarche devant des milliers de Libanais a été si courageux qu’il a marqué un tournant dans l’histoire du christianisme oriental, toujours forcé de s’incliner devant la protection du sultan, à son service par crainte d’une pire fin. Maintenant assez, a-t-il dit, demandant à tous les Libanais de protéger les droits du peuple dans un discours à quelques heures du voyage du pape François dans la région.

Il s’interroge, et dans un certain sens il l’explique. Les conceptions identitaires des milices du camp sunnite, comme l’Etat Islamique (Daech), ou celui des chiite, comme le Hezbollah, sont analogues, opposées et incompatibles avec la fraternité dont parlera le Pape et dont Bechara Rai a indiqué les caractéristiques. La fraternité signifie le rejet de tout fanatisme identitaire, de tout impérialisme sectaire, ainsi que de toute alliance sectaire contre quelqu’un. Les pacifiques sont faibles s’ils agissent contre «un» individu, par contre ils sont forts lorsqu’ils visent un but bien déterminé. Aujourd’hui, la boussole qu’indique Bechara Rai est la paix libanaise qui ne se plie pas aux hégémonies sectaires ou discriminatoires au nom d’une guerre idéologique contre quelqu’un. Cette paix est valable en Syrie, en Irak, au Yémen et dans de nombreux autres pays. Les idéologies politiques antagonistes, anti-américaines ou islamophobes, font l’objet d’un refus.

Hier, bien que certains qui ne cèdent pas face aux humeurs d’un pays bouleversé par la pauvreté, le patriarche maronite Bechara Rai a expliqué que seul le mouvement populaire dans les rues, de Beyrouth à Bagdad, sauve les chrétiens dans les sociétés arabes et projette ces sociétés dans la construction de leur avenir, au lieu de rester figés dans leur passé. Les chrétiens fuient un monde qu’ils n’ont pas changé, mais dont les dirigeants ont fini par l’accepter tel qu’il est. Les milices sunnites, c’est-à-dire celles qui ont construit le grand quartier général du califat, sèment les bombes et la haine; les milices pro-iraniennes, qui sont le pays dépositaire d’une culture millénaire et riche enviées par le monde, apportent exécutions et destructions. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons inverser le cours de l’histoire et construire un avenir différent.

Riccardo Cristiano. (Les Fourmis)