(Rome le 24 janvier 2021). Dix ans après la révolution du jasmin, la Tunisie est à nouveau au bord du gouffre, avec des conséquences négatives possibles aussi pour l’Italie du côté migratoire. La pandémie de Covid-19 recrée les mêmes conditions qui ont déclenché le printemps arabe: absence de travail, tension sociale et mesures restrictives sont tous des épisodes récurrents. Il est étrange de voir des centaines de jeunes Tunisiens qui, il y a dix ans, n’étaient que des enfants piller des supermarchés et incendier des magasins. Les autorités semblent encore capables de contenir ce qui – pour l’instant – apparaît comme des troubles non structurés. L’impression, que cela arrange certains de provoquer un vent de protestations pour embarrasser la coalition majoritaire dirigée par le parti islamique Ennahda, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’axe Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite et Egypte n’a jamais caché son aversion pour l’expérience démocratique tunisienne. Si le gouvernement tombait et se rendait à des élections anticipées, le parti réactionnaire des nostalgiques du régime de Ben Ali (très apprécié dans le Golfe) remporterait le vote populaire.
Les yeux sur Biden
« Les médias du Golfe attisent le feu en Tunisie, mais difficile de savoir à quel point Abou Dhabi ou Riyad ont intérêt à « marcher sur les pieds » des États-Unis dans un pays où Washington a beaucoup investi ces dernières années », a déclaré à Inside Over M. Umberto Profazio, un chercheur associé à l’IISS et analyste expert du Maghreb de la Fondation OTAN. « D’un autre côté, cela peut représenter un premier test important pour la nouvelle administration américaine afin de comprendre quelles seraient les réelles intentions politiques et stratégiques dans la région », a ajouté l’expert. « Il est concevable que Joe Biden veuille sauvegarder la seule expérience démocratique qui ait survécu au printemps arabe, avec tous les défauts et lacunes que nous avons constatés au niveau social et économique: les manifestations d’aujourd’hui en sont un excellent exemple ». À y regarder de plus près, le risque d’instabilité ne concerne pas seulement la Tunisie, mais l’ensemble de l’Afrique du Nord. À l’exception peut-être de l’Égypte, le seul pays de la région à avoir connu une croissance économique en 2020, la pandémie de coronavirus a durement frappé tous les pays côtiers. Le Maroc a vu ses revenus touristiques tomber à zéro. L’Algérie a subi une forte baisse des prix du pétrole et du gaz sur lesquelles repose toute l’économie. Une nouvelle révolte du pain pourrait éclater en Libye, ravagée par les conflits, provoqués par la dévaluation du dinar et la pénurie de farine.
Changement de gouvernement
Le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi a récemment lancé un profond remaniement gouvernemental en remplaçant onze ministres: en dehors des représentants proches du chef de l’Etat Kais Saied, des techniciens proches du chef du gouvernement lui-même, du mouvement islamique Ennahda et du parti populiste Qalb Tounes. L’Assemblée des représentants du peuple votera sur la confiance le 26 janvier. Le premier ministre a besoin du vote favorable de 109 députés sur 217. Sur le papier, le gouvernement Mechichi II, a déjà la confiance dans sa poche, mais dans le contexte actuel de forte instabilité, rien n’est impossible. Le scénario alternatif, celui des élections, qui porterait au pouvoir les nostalgiques de l’ancien président Ben Ali. Selon une récente enquête de Tunisia Survey sur les intentions de vote, en effet, 23% des personnes interrogées choisiraient le Parti des constitutionnalistes libres (PDL) du «volcan» Abir Moussi; 9,4 pour cent voteraient pour Ennahda; 9,1% voteraient pour la coalition islamique radicale d’Al Karama dirigée par Seifeddine Makhlouf, accusé dans son pays d’être « l’avocat des terroristes ».
Absecnce de leader
Selon Soufiane Ben Farhat, journaliste, écrivain, dramaturge et analyste politique tunisien, la Tunisie traverse une crise qui remet en question tout l’appareil d’État post-révolutionnaire. « Il y a un étonnement général, non pas tant face à l’échec du gouvernement, comme à l’époque de Ben Ali, mais aussi de l’Etat », a déclaré le journaliste à l’Agence Nova. Une véritable crise de légitimité que la politique peine à gérer, due également à l’absence de leaders charismatiques. «Le président de la République parle de complots, mais en même temps il n’a ni parti, ni la possibilité de manipuler le gouvernement. La classe politique est également en crise, au point qu’on parle de politique de parti similaire à celle de l’Italie jadis», ajoute le journaliste et analyste politique. «En Tunisie, il y a une situation qui ressemble beaucoup à celle du Liban: nous avons trois présidences désunies, une crise structurelle et une déception générale pour une révolution qui après dix ans nous a valu la liberté de la presse et de la parole, mais au niveau économique et socialement, ce fut un échec ».
Et l’Italie ?
Pour l’Italie, la priorité numéro un est d’éviter un vide de pouvoir qui pourrait conduire à une nouvelle augmentation des flux migratoires, qui ont déjà augmenté de +385% en 2020 sur un an (de 2.654 à 12.883 entrées illégales par voie maritime). Le gouvernement de Rome doit parler à un exécutif tunisien compact et uni, capable de prendre des décisions rapides et éventuellement avec un alignement international similaire. La structure gouvernementale qui émerge en Tunisie a une forte composante des Frères musulmans en son sein, représentée par le mouvement Ennahda qui, bien qu’il se déclare indépendant, est issu de la même famille que le Parti de la justice et de la construction (Akp) du Président-Sultan Recep Tayyip Erdogan. Ce n’est pas un hasard si la Tunisie est parvenue en décembre à un accord pour l’achat de trois drones «Anka-S» auprès de Turkish Aerospace Industries (Tai). L’accord de 80 millions de dollars (entièrement financé par Turk Eximbank), explique un rapport de la Fondation OTAN, comprend également trois stations au sol et la formation de 52 pilotes et personnels de maintenance de l’armée de l’air tunisienne en Turquie. Un accord «qui risque de créer de nouvelles frictions à Tunis et qui s’ajoute aux difficultés existantes entre le président Kais Saied et le Premier ministre Hichem Mechichi». Si le gouvernement tunisien venait à tomber, cela constituerait aussi et surtout une grande perte pour la Turquie .
Alessandro Scipione. (Inside Over)