Après un coup d’État mené par des militaires, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi sa démission. La communauté internationale, elle, s’inquiète des répercussions de cet événement, alors que le Mali, traversé par une profonde crise politique et sociale, doit aussi faire face à la menace djihadiste. Au lendemain des troubles de mardi, le calme règne à Bamako, mercredi, après le putsch mené par des militaires qui a mené à l’annonce de la démission du président malien Ibrahim Boubacar Keïta. Mais la situation, très instable, inquiète la communauté internationale, qui redoute une aggravation de la crise dans un pays déjà en proie aux violences djihadistes. Europe 1 fait le point sur la situation.
Que s’est-il passé mardi ?
Tout est parti d’une mutinerie mardi, qui a éclaté dans la garnison militaire de Kati, près de Bamako. Des soldats ont ensuite fraternisé avec des manifestants qui réclamaient depuis des mois la démission du président. Ces soldats ont arrêté Ibrahim Boubacar Keïta, chez lui, à Bamako, ainsi que son Premier ministre Bouboub Cissé. Les deux hommes « ont été conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati », où se trouve le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de Bamako. Les mutins ont ensuite pris le contrôle du camp et des rues adjacentes, avant de se diriger en convoi vers le centre de la capitale.
Vers minuit, le président Keïta est apparu sur la télévision publique ORTM. Portant un masque, il s’est adressé à la population et aux militaires, et annoncé sa démission, pour « qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires ». Il a déclaré avoir œuvré depuis son élection en 2013 à redresser le pays et à « donner corps et vie » à l’armée malienne. Puis il a évoqué les « manifestations diverses » qui depuis plusieurs mois ont réclamé son départ, faisant des victimes, estimant que « le pire en a résulté ». « Si aujourd’hui il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? M’y soumettre, car je ne souhaite qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires », a-t-il dit. Le chef d’État a également annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement.
Que réclament les militaires ?
Présenté comme le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, a accusé le pouvoir en place d’être responsable de la situation actuelle du Mali qui « sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité », et dénoncé le «clientélisme politique », « la gestion familiale des affaires de l’Etat », ainsi que la « gabegie, le vol et l’arbitraire ». « Nous ne tenons pas au pouvoir, mais nous tenons à la stabilité du pays, qui nous permettra d’organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes », a également dit Ismaël Wagué. Les auteurs du coup d’Etat ont annoncé la mise du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ainsi que la fermeture des frontières et l’instauration d’un couvre-feu. Mais ils ont également pris soin de rassurer la communauté internationale sur leurs intentions. « Tous les accords passés » seront respectés, a affirmé le colonel Wagué. « La (mission de l’ONU) Minusma, la force (anti-djihadiste française) Barkhane, le G5 Sahel (qui regroupe cinq pays de la région), la force Takuba (un groupement de forces spéciales européennes censées accompagner les Maliens au combat) demeurent nos partenaires », a-t-il assuré.
Pourquoi le Mali est-il en crise depuis des mois ?
Le Mali est confronté à une grave crise socio-politique depuis les législatives de mars-avril, à laquelle s’ajoute à un climat d’insécurité dû notamment aux attaques djihadistes. Les législatives avaient notamment été marquées par l’enlèvement du chef de l’opposition Soumaïla Cissé. La Cour constitutionnelle avait ensuite inversé une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du président Ibrahim Boubacar Keïta, générant des manifestations début mai. Depuis, une coalition hétéroclite d’opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile a multiplié les manifestations pour réclamer le départ du président. Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui mène la contestation, avait refusé jeudi dernier une rencontre avec le président Keïta, fixant notamment comme préalable la fin de la « répression » contre ses militants. Le week-end du 10 juillet, une manifestation à l’appel du mouvement avait dégénéré en trois jours de troubles meurtriers.
Pourquoi cette crise inquiète la communauté internationale ?
Déjà affaibli sur la plan économique et social, le Mali doit désormais gérer une période de vide politique, et ce alors que le pays constitue une base avancée de la lutte antiterroriste dans cette région. En 2012, le nord du Mali était tombé sous la coupe de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda, avant d’être partiellement chassés par l’opération « Serval » lancée par la France en 2013 et remplacée en 2014 par l’opération antidjihadiste au Sahel, Barkhane. Mais ces derniers mois, les violences djihadistes se poursuivent et se sont étendues au centre du Mali et aux pays voisins, Burkina Faso et Niger.
Cette instabilité politique pourrait rendre le pays encore un peu plus vulnérable face à la menace djihadiste, explique Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique, qui rappelle au micro d’Europe 1 qu’«en mars 2012, lors du coup d’État précédent, c’est à ce moment-là que les djihadistes ont pu s’emparer de l’ensemble du nord du pays». Pour le journaliste, « on est dans l’inconnu », et la situation est « extrêmement bloquée ». Et si les militaires ont annoncé de futures élections, Antoine Glaser reste prudent. « On a vu très souvent dans d’autres pays que les militaires, d’une façon ou d’une autre, veulent toujours peser dans les décisions politique », dit-il.
Le Conseil de sécurité des Nations unies doit se réunir mercredi après-midi en urgence à huis clos, à la demande de la France et du Niger. (Europe1)