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Ukraine-Russie : les conseils de guerre du général David Petraeus jugées délicats

(Rome, 07 décembre 2025). Alors que le général américain David Petraeus appelle à saisir les avoirs russes et à durcir drastiquement les sanctions contre Moscou pour forcer la fin de la guerre en Ukraine, plusieurs analystes alertent sur les risques d’une telle stratégie. Derrière l’apparente logique punitive, ces mesures pourraient pousser une puissance nucléaire comme la Russie à percevoir une menace existentielle, et donc à réagir de manière imprévisible, voire dangereuse

Saisir les avoirs russes et frapper l’économie de Moscou par de nouvelles sanctions sévères pour accélérer la fin de la guerre en Ukraine. Ces deux mesures miraculeuses évoquées par le général américain David Petraeus, ancien directeur de la CIA, dans une interview accordée au quotidien «Corriere della Sera», pour «contraindre» la Russie à la paix, semblent tout droit sorties d’un laboratoire politique déconnecté de la réalité. Le gel des avoirs russes transformés en distributeur automatique géant pour Kiev, le durcissement des sanctions jusqu’à broyer l’économie de guerre moscovite, l’idée que l’appareil industriel russe est d’une fragilité extrême : le tout enveloppé dans la certitude qu’une fois sous la pression, la Russie finira par céder. Un raisonnement élégant, certes, mais déconnecté du contexte stratégique dans lequel ce conflit se déroule depuis plus de trois ans, écrit Giuseppe Gagliano dans le portail italien «Inside Over».

Le général oublie que la Russie n’est pas un acteur comme les autres. Il s’agit d’une puissance nucléaire possédant plus de six mille ogives opérationnelles, un arsenal tactique qui demeure le plus important au monde, et une doctrine militaire qui, depuis deux décennies, envisage explicitement le recours à l’arme nucléaire en cas de menace existentielle. La question est donc simple : que se passera-t-il si les «deux mesures» préconisées par l’ancien directeur de la CIA amènent Moscou à percevoir une menace existentielle ? Si l’économie russe est réellement aussi fragile qu’il le prétend, si les attaques ukrainiennes frappent réellement des infrastructures critiques chaque nuit, si le fonds souverain est aussi au bord de l’épuisement, pourquoi croire que le Kremlin reste les bras croisés, en attendant l’effondrement ? Dans toute guerre, comme l’enseigne l’histoire, un acteur qui se sent acculé réagit en relevant la mise, et non en reculant.

«Rappeler la capacité nucléaire de la Russie est indispensable pour comprendre les risques d’escalade, mais il serait tout aussi trompeur d’oublier que cette arme n’est pas son monopole», nous confie un ancien officier occidental. «Les puissances occidentales des États-Unis au duo nucléaire franco-britannique disposent elles aussi d’une dissuasion robuste, intégrée dans une architecture stratégique qui reste technologiquement bien supérieure à celle d’une Russie contrainte d’importer drones, munitions et missiles d’Iran ou de Corée du Nord», ajoute-t-il.

L’idée de confisquer des centaines de milliards de dollars appartenant à un État doté de l’arme nucléaire n’est pas qu’un pari juridique risqué. C’est un acte de guerre économique que Moscou pourrait interpréter comme un prélude d’une tentative d’épuisement définitif. Et si cela parvenait réellement à «écraser l’économie russe», comme l’espère Petraeus, la tentation pour le Kremlin de rompre le cycle par un geste démonstratif (une frappe d’arme tactique sur des cibles militaires ukrainiennes, par exemple) deviendrait plus concrète que jamais. Le général parle comme si la Russie disposait de marges de manœuvre infinies et comme si la dissuasion nucléaire était un détail dépassé par l’évolution de la technologie occidentale. Mais rien ne garantit que l’humiliation économique ne se transforme pas en un calcul désespéré.

Mais Moscou ne suit pas le scénario convenu

L’angle mort de Petraeus est précisément celui-ci : la conviction que la Russie joue une partie normale, se battant pour ce qu’elle perçoit comme sa profondeur stratégique, son prestige, ses frontières historiques. L’Occident continue de raisonner selon la logique d’une escalade contrôlée, de frappes calibrées et de représailles mesurées. Mais Moscou n’est tenu de suivre aucun scénario. Si elle estime que sa survie politique ou territoriale est menacée, sa doctrine lui offre des outils que Kiev ne possède pas. Et aucune garantie «à toute épreuve» donnée à l’Ukraine ne pourra modifier cette asymétrie. L’utilisation par l’Europe de ses avoirs gelés pour financer l’Ukraine ou sa volonté d’instaurer un nouveau régime de sanctions extrêmes peuvent sembler judicieuses à Bruxelles et à Washington. Mais la stabilité stratégique repose sur un équilibre subtil de proportions, de perceptions et de lignes rouges non écrites. Croire qu’un pays acculé, bombardé économiquement, isolé financièrement et frappé dans son infrastructure énergétique reste prévisible est un pari risqué.

Une source occidentale bien au fait, déclare que l’économie russe est en sursis, son industrie militaire dépend de circuits parallèles et ses capacités technologiques stagnent. Dans ce contexte, la certitude que Moscou pourrait éternellement dicter l’équilibre de la peur relève davantage du mythe que de l’analyse. Et il faut rappeler que, si la Russie persiste dans la surenchère, le trio France–Royaume-Uni–Allemagne (pilier européen de la dissuasion et de la puissance industrielle) est prêt à faire sentir son poids stratégique. L’arme nucléaire est un outil de terreur réciproque, pas un privilège unilatéral.

En outre, «l’économie russe, prolongée artificiellement par un système opaque de bateaux-fantômes acheminant clandestinement son pétrole, n’est pas un signe de résilience mais au contraire la preuve d’un modèle aux abois, obligé de fonctionner dans les marges du marché mondial», déclare une source anonyme. Et d’ajouter que «son industrie militaire dépend de circuits parallèles et ses capacités technologiques stagnent depuis des années».

Le général Petraeus envisage une issue «propre, durable, juste et raisonnable». Mais la voie qu’il propose ouvre au contraire la porte au scénario le plus absurde qui soit : celui d’une puissance nucléaire qui décide que le seul moyen de mettre fin aux pressions occidentales est de montrer qu’elle ne bluffe pas. L’Ukraine paie déjà un prix exorbitant chaque jour. Imaginer que l’on puisse contraindre la Russie à faire la paix sans envisager la possibilité qu’elle réagisse avec l’arme la plus terrifiante de son arsenal n’est pas une stratégie : c’est un acte de foi. Et en temps de guerre, la foi n’a jamais sauvé personne.

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