(Rome, 12 novembre 2025). Alors que la perspective d’un État palestinien ressurgit après un accord fragile entre Israël et le Hamas, le débat se heurte à des impasses anciennes et à des défis institutionnels non résolus. Des deux côtés, l’absence d’un cadre constitutionnel et la persistance des fondamentalismes politiques et religieux compromettent la construction d’un équilibre de paix durable : il leur faut déconstruire l’influence des fondamentalismes, qu’ils soient politiques, religieux ou ethniques
Après l’accord entre le Hamas et le gouvernement israélien, négocié par plusieurs acteurs internationaux, dont les États-Unis, la création d’un État palestinien se heurte à deux questions fondamentales : l’une issue du passé, l’autre tourné vers l’avenir. Toutes deux influencent le présent, écrit Angelo Lucarella dans «Il Giornale».
Première question : la célèbre résolution des années 1940 a déjà reconnu le droit à la création d’un État palestinien, à condition qu’il soit fondé sur des bases démocratiques.
Deuxième question : le rôle actuel du Hamas semble entraver ce droit pour deux raisons principales :
- La Ligue arabe, après des années d’hésitation, a déclaré que le Hamas devait renoncer à la lutte armée et mettre fin à son contrôle sur la bande de Gaza ;
- Or, après la libération des otages israéliens, rien de nouveau n’est survenu. Au contraire, la présence du Hamas à Gaza semble s’accroître, de même que ses tentatives de recrutement de nouveaux membres au sein des brigades al-Qassam.
Se pose donc la question du contrôle de Gaza dans le cadre plus large de la création d’un État palestinien, qui inclurait, outre le territoire susmentionné, la Cisjordanie, bien que cette dernière soit fragmentée (à ce jour, les accords actuels avec Israël prévoient trois type de gouvernement de cette zone : mixte, exclusivement israélien, ou exclusivement sous l’Autorité palestinienne, selon le point géographique concernées).
Mais du côté israélien, le maintien de ces accords s’avère complexe : d’une part, des tendances fondamentalistes sont également présentes au sein du gouvernement actuel et certaines s’opposent à l’émergence d’un État palestinien ; de l’autre, Israël ne possède pas de Constitution, malgré le fait que sa démocratie soit issue de la résolution 181/1947 des Nations Unies.
L’absence de Constitution, dans le cas israélien, pourrait sembler anodine ; pourtant, elle pose problème tant sur le plan juridique que politique.
À ce jour, la dimension démocratique d’Israël repose sur des lois considérées comme fondamentales, mais non constitutionnelles. Il s’agit d’une singularité mondiale pour un État se réclamant libéral et démocratique, idéalement fondé sur l’État de droit.
L’une des lois fondamentales (celle de 2018) définit Israël comme un lieu d’épanouissement pour les Juifs, ou plutôt, la «patrie du peuple juif». Ceci soulève la question de savoir comment un non-Juif peut-il se sentir titulaire d’un droit à la réalisation personnelle en l’absence d’une Constitution reconnaissant la dignité humaine comme un bien immatériel inviolable ? On pourrait donc paradoxalement conclure qu’Israéliens et Palestiniens partagent le même destin s’ils souhaitent construire un équilibre de paix : déconstruire l’influence des fondamentalismes, qu’ils soient politiques, religieux ou ethniques. Cela ne serait possible qu’en partant d’un premier point commun : établir deux constitutions pour les deux États, ou une seule Constitution commune légitimant la coexistence des deux entités.
Dans ce dernier cas, il ne s’agirait pas d’un accord international entre deux États, car la Palestine n’est pas encore un État : il lui manque des territoires reconnus et un pouvoir exerçant la souveraineté. Si la question territoriale peut être résolue par des négociations internationales ou bilatérales, l’affirmation de la souveraineté suppose, quant à elle, l’existence d’un pouvoir exerçant son autorité sur son peuple, élément préalable à la naissance même d’un Etat.
C’est pour cela que l’État de Palestine ne parvient pas à voir le jour : il lui manque cette condition préalable aux trois éléments constitutifs d’un État (un peuple, un territoire et une souveraineté). L’influence exercée par le Hamas n’est pas la même que celle de l’Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie. Le premier dispose d’une branche armée terroriste, tandis que la seconde a été reconnue comme entité gouvernementale légitime (mais non souveraine) par les accords d’Oslo.
Pour ces raisons, l’adoption d’une Constitution est nécessaire et indispensable, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Une fois définis les territoires et les peuples respectifs, il deviendra possible de déterminer sur qui et dans quel but doit s’exercer le pouvoir qui fonde la souveraineté.
Aujourd’hui, Israël et la Palestine vivent une situation paradoxalement similaire, bien que leurs contextes juridiques et politiques diffèrent : Israël est une démocratie dotée d’une souveraineté étatique, mais sans autorité homogène sur les territoires qu’il revendique (la «terre de Jacob», pour ainsi dire) ; la Palestine, quant à elle, n’est pas une démocratie aboutie, mais plutôt un ensemble composé de la Cisjordanie (où existe une expérience embryonnaire de création de l’État palestinien) et de Gaza (dominée par le Hamas). La solution de «deux peuples deux États» pourrait donc être repensée, voire dépassée, en inversant la logique de départ. Plutôt que de partir d’accords politiques ou diplomatiques de paix, il s’agirait de commencer par la rédaction d’une Constitution commune, légitimant deux États et deux nations.
Dans le cas israélo-palestinien, un tel fondement juridique permettrait d’apaiser les tensions et les conflits qui caractérisent la situation politique actuelle. Pour Jérusalem, une solution difficile mais décisive pourrait être envisagée : un gouvernement de coordination religieuse, sur le modèle de celui du Vatican, afin de garantir l’égalité de culte et le respect des lieux saints pour les trois religions monothéistes présentes (la religion étant l’élément principal de conflit tout au long de l’histoire). Une telle approche contraindrait les fidèles, les croyants et les citoyens à neutraliser les pulsions fondamentalistes et à établir des instances représentatives capables d’apaiser le conflit politique fondé sur le fondamentalisme.
Enfin, cette solution pourrait conduire les trois religions à se reconnaître et à se légitimer mutuellement, une fois pour toutes, sur un plan existentiel, éliminant ainsi, au sein de chaque communauté, tout esprit de haine envers quiconque considéré comme infidèle.
Ce ne serait là qu’une idée de base, mais de laquelle pourrait naître un débat plus large, dépassant la vieille formule des «deux peuples, deux États», aujourd’hui devenue anachronique.
En définitive, au-delà des tractations diplomatiques et des accords éphémères, la paix israélo-palestinienne ne pourra naître que d’une refondation intérieure, juridique et morale. D’une part, entre les impératifs sécuritaires d’Israël, la situation humanitaire à Gaza et les divergences au sein de la Ligue arabe, la perspective d’une solution politique semble incertaine. De l’autre, tant qu’Israël et la Palestine resteront dépourvus d’un cadre constitutionnel assurant l’unité, la dignité et la légitimité de leurs institutions, toute tentative de solution politique demeurera instable.