(Rome, 04 octobre 2025). Dix mois après la chute de Bachar al-Assad, Moscou charche à maintenir son influence en Syrie en se rapprochant du président par intérim Ahmad Al-Charaa. Entre négociations sur ses bases militaires, possibles livraisons de systèmes S-400 et d’un dialogue diplomatique, la Russie cherche à transformer la perte de son allié historique en opportunité stratégique dans un pays devenu le centre d’une compétition régionale et internationale
La Russie ne souhaite pas que la perte de son traditionnel pied-à-terre se transforme en débâcle stratégique et, dix mois après la chute de Bachar al-Assad, elle tente d’établir ses liens avec le président par intérim Ahmad Al-Charaa et son nouveau gouvernement, écrit Andrea Muratore dans «Inside Over».
De la guerre civile au dialogue
Aux dates marquant le dixième anniversaire de l’intervention russe dans la guerre civile syrienne aux côtés d’Assad, entre le 30 septembre et le 1er octobre, des responsables du ministère syrien de la Défense et des nouvelles forces armées, formées après l’arrivée au pouvoir d’Al-Charaa et de son groupe militant Hayat Tahrir al-Cham (ATC), se sont rendus à Moscou pour des réunions de haut niveau avec leurs homologues russes. À cette occasion, Assem Ghalioun, porte-parole de la Défense syrienne, a publié sur les réseaux sociaux un selfie devant un système antiaérien S-400, annonçant qu’il était opérationnel «aujourd’hui en Russie, bientôt en Syrie».
S’agit-il d’un signe annonciateur d’une possible vente de cet atout stratégique ? Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais il est clair que dans la danse des puissances visant à projeter leur influence sur la nouvelle Syrie, Moscou est aussi en lice. Et puisque l’agenda international d’al-Charaa, en dehors du solide soutien de la Turquie et du parrainage du Qatar, est en cours d’élaboration, Moscou tente à limiter les conséquences (et les dégâts) de la chute d’Assad, voire de transformer la défaite en victoire. Une première étape pourrait consister à obtenir une prolongation de la disponibilité des bases du pays (la base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim, toutes deux situées sur la côte ouest de la Syrie) peut-être à un «tarif révisé» à la hausse par rapport aux conditions favorables d’autrefois.
Il convient de souligner l’ouverture d’esprit d’al-Charaa, qui, avec une grande perspicacité politique et tactique, a soigneusement évité de confondre ses appels au renversement du régime d’Assad avec une revendication antirusse similaire. L’ancien djihadiste devenu leader politique ne souhaite pas se faire de nouveaux ennemis et a déclaré en juillet espérer, pour le bien de la Syrie, que Moscou reste «à ses côtés».
La Syrie et la Russie se rapprochent
Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, s’est rendu à Moscou et a rencontré son homologue Sergueï Lavrov le 31 juillet dernier. Il s’agit du premier contact de haut niveau entre les deux pays depuis l’entretien téléphonique d’Al-Sharaa avec le président russe Vladimir Poutine en février. Pour la Syrie, parvenir à une entente cordiale avec la Russie signifie en même temps, au prix de renoncer à une vengeance posthume contre Assad (en exil à Moscou), se prémunir contre l’utilisation par Moscou de loyalistes du régime déchu contre Al-Charaa, et disposer d’un partenaire supplémentaire sur lequel elle peut compter pour ses échanges commerciaux et les fournitures militaires.
A cet égard, les S-400 sont très convoités, compte tenu de l’avancée des opérations militaires israéliennes dans le pays depuis la chute du tyran de Damas, dans le contexte d’un véritable bras de fer à distance avec la Turquie, pays protecteur de Damas. Pour Moscou, ce compromis pragmatique lui permettrait de maintenir son ancrage au Moyen-Orient. Les incidents récents, comme la défaillance d’un sous-marin de classe Kilo II en Méditerranée orientale, démontrent l’importance de disposer de bases d’appui et de plateformes logistiques opérationnelles dans cette région.
La Syrie, cependant, reste un terrain encombré : Les Turcs et les Qataris sont fortement présents, les États-Unis les surveillent de près, les Israéliens y opèrent activement et de nombreux pays arabes y gardent un œil attentif. La Syrie demeure un prisme complexe où chacun tente de faire valoir ses propres intérêts.
Les perspectives de dialogue
«En négociant sur ses bases, la Russie a rappelé à la Syrie le soutien qu’elle peut lui apporter. Au printemps, la Russie a envoyé du pétrole, du diesel et du blé en Syrie», écrit Foreign Affairs, ajoutant que «l’entreprise russe Goznak, soumise à des sanctions britanniques, européennes et américaines, et qui imprime depuis longtemps la monnaie syrienne, émettra les nouveaux billets de banque du pays. Grâce à son veto au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie pourrait contribuer à la levée des désignations terroristes d’al-Charaa et de ses proches, assorties d’interdictions de voyager et de gel des avoirs». L’opportunité est alléchante pour tous. La Syrie reste disputée et n’appartient pas encore à une sphère d’influence précise.
Reste à savoir si, le 15 octobre, Al-Charaa sera à Moscou pour le sommet annuel Russie-Ligue arabe. Si tel est le cas, une rencontre bilatérale avec Poutine n’est pas à exclure. Elle pourrait clarifier bien des scénarios.
Selon une source italienne, la chute d’Assad n’a pas signé la fin de l’influence russe en Syrie : Moscou joue la carte Al-Charaa, mise sur ses bases stratégiques et brandit l’argument des S-400 pour rester un acteur incontournable du nouveau jeu dans la nouvelle Syrie.