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Entre Moscou et Washington, une Europe égarée, la revanche des rapports de force

(Rome, 21 août 2025). Alors que Moscou et Washington renouent avec une logique de confrontation, l’Europe semble désorientée face au retour brutal de la politique de «force». L’échec des illusions multilatérales, la réactivation des sphères d’influence et la perspective d’un nouvel ordre mondial révèlent la fragilité d’un continent absorbé par ses transitions internes, tandis que la guerre en Ukraine consacre la réémergence des rapports de force comme principe structurant des relations internationales

L’évolution de la diplomatie et, plus encore, de la politique de puissance ont conduit à la scène de l’Alaska, théâtre hautement symbolique pour l’hôte américain. Après tout, rien de mieux qu’un ancien territoire russe pour discuter des conflits au plus haut niveau mondial, ravivant des échos historiques que l’on croyait relégués, au point d’avoir réduit Moscou à une dimension régionale, une perspective qui devrait préoccuper sérieusement l’Europe, son terrain privilégié, rapporte Gino Lanzara dans son décryptage dans les colonnes du portail «Difesa Online».

Cela pourrait être une première clé de compréhension, passée largement inaperçue des opinions occidentales. Habituées aux «fins heureuses», télévisuels où il suffit d’une lettre pour faire couler des larmes de joie et de gloire, le public européen a dû se rendre à l’évidence : comme le chantait Bennato, «la guerre est une affaire sérieuse, et que les clowns et les marionnettes ne la feront jamais».

Rien de rapide, rien d’acquis, aucune garantie pour un avenir qui, aujourd’hui, semble plus incertain que jamais. Même l’État qui a proposé d’accueillir la seconde manche d’un dialogue extrêmement complexe semble ignorer les contraintes issues de son engagement auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Pour reprendre les mots de Bruno Pizzul : «tutto molto bello»… mais derrière cette façade séduisante, le vide domine. Analyses spéculatives, commentaires infondés, prises de position pour usage interne : tout cela ne renforce que des agendas politiques nationaux, sans poids réel à l’échelle internationale. Ceux qui ont imputé tout cela à un manque fondamental de préparation, ont fait preuve d’une condescendance excessive : le problème est ici bien plus grave.

Il suffirait d’un minimum de mémoire historique – celle du Congrès de Vienne, par exemple – pour se souvenir de la durée, de la complexité des négociations entre grandes puissances et des résultats obtenus. Il suffirait aussi de méditer les propos de Margaret Thatcher sur la nécessité d’employer la force, ou encore de rappeler que Bismarck, dans son «diviser pour régner», ne voulait certes pas la guerre, mais souhaitait assurément la victoire.

Aujourd’hui, Sergueï Lavrov, diplomate hautement qualifié et expérimenté, flatte Trump, regrette son absence au début du conflit et ridiculise l’image politique d’une Europe sur laquelle tirer, revient à viser la Croix-Rouge. Dans le moment le plus dramatique et stratégiquement important de son histoire, l’Europe regarde ailleurs, vers la transition verte. Le terrain politique est ici largement inédit, traversé par des lignes de fractures où un agresseur formule des exigences furieuses à l’égard d’une victime, souvent réprimandée pour sa résistance acharnée.

Les parachutistes russes à l’aéroport de Kiev, comme les colonnes blindées destinées à conclure une guerre éclair semblent appartenir à un scénario de fiction. Mais le Kremlin a été clair : Il n’apprécie ni le système politique post-Euromaïdan, pas plus que l’intégration européenne, ou le renforcement des forces armées de Kiev, visiblement perçue comme un adversaire redoutable.

Nous replongeons dans les eaux glacées de la Guerre froide. Le projet du nouveau Yalta n’implique plus les mêmes acteurs qu’il y a 80 ans. La politique internationale perd son masque et n’accepte plus que des protagonistes, pas des figurants. L’image du Bureau ovale, avec le président américain en «mode tableau blanc», est révélatrice, tout comme la nécessité évidente de s’adapter à l’idée d’un nouvel ordre façonné par une géopolitique radicalement différente.

L’Ukraine hésite entre un nouveau Plan Marshall ou, plus précisément, un consortium privé prêt à reconstruire un pays largement relégué à l’âge de pierre par les bombes. Ce qui est sûr, c’est que, cette fois, il n’y aura pas de nouveau Nuremberg. Pressés par la logique médiatique, les crimes de guerre ne seront jugés par personne, condamnant l’Histoire à un long purgatoire nourri de revanches et de ressentiments.

Pendant ce temps, alors que Moscou revendique des territoires qu’elle n’occupe pas complètement, exige l’imposition de sa propre langue nationale, et pose la question cruciale : comment faire respecter, sur le terrain, des accords qui, tôt ou tard, seront conclus. Désormais, ce qui compte, est la relance des relations russo-américaines, oscillant entre mercantilisme washingtonien et impérialisme moscovite. Si cela marque le grand retour de la realpolitik, alors les pays baltes ont raison de craindre un nouveau 1938.

Shakespeare a dit dans Jules César : «notre destin est en nous-mêmes, et non dans les étoiles». Il avait raison. Bonne nuit et bonne chance. Nous en aurons besoin.

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