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Quand Washington et Moscou court-circuitent l’ordre multilatéral. Les scénarios possibles

(Rome, Paris, 15 août 2025). À quelques heures d’un sommet inédit en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, Washington et Moscou semblent reprendre seuls la main sur le dossier ukrainien, au risque d’écarter Kiev et ses alliés européens. Entre échanges territoriaux hypothétiques et manœuvres diplomatiques dilatoires, deux scénarios se dessinent, tandis que la guerre d’usure engagée par la Russie se poursuit

Le président Donald Trump a continué, avec brio, de gagner du temps en cette première moitié d’août, conscient de l’important capital politique qu’il perdrait s’il décidait soit de se distancer de la question ukrainienne, comme il l’avait promis pendant la campagne électorale, soit, au contraire, de poursuivre sur la même lancée que son prédécesseur Joe Biden. Ce n’est pas un hasard si, depuis le début de son mandat, Trump a cherché à favoriser un accord qui le libérerait de l’obligation de prendre une décision qui lui serait de toute façon inconfortable. Pour ce faire, il a multiplié les échéances, trouvant toujours le moyen de les contourner.

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La dernière échéance, fixée au vendredi 8 août, devait marquer le début d’une série de mesures économiques extrêmement sévères, visant non seulement la Fédération de Russie, mais aussi tous les pays qui continuent de commercer avec elle, comme le rappelle le quotidien «Il Tempo».
Cependant, cette perspective a été soudainement anéantie par l’annonce d’un développement diplomatique surprenant. De plus, le sommet entre Donald Trump et Vladimir Poutine a même ramené la gestion diplomatique de la crise ukrainienne à la dynamique typique de février et mars derniers, lorsque Trump semblait plus proche de Poutine que du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

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Après avoir donné l’impression d’avoir perdu toute confiance en Poutine et s’être aligné sur les positions fortement pro-ukrainiennes défendues notamment par le sénateur démocrate Richard Blumenthal du Connecticut et le sénateur républicain Lindsay Graham de Caroline du Sud, lors de l’annonce du sommet, Trump a soudainement relancé une diplomatie bilatérale qui représente précisément ce que ces derniers, Zelensky et les dirigeants européens souhaitaient éviter, craignant que Poutine, fort d’une vision stratégique claire et décisive, ne finisse par plier Trump à ses propres objectifs lors de leur rencontre.

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La tenue du sommet en Alaska démontre une fois de plus que cette lecture multipolaire du système international, si répandue en Europe, est encore loin d’être une réalité. Malgré son importance économique et sa décision de soutenir l’Ukraine dès les premiers stades du conflit, l’UE se trouve exclue, signe que, tant pour les États-Unis que pour la Russie, son impact sur la question ukrainienne reste considéré comme négligeable. De plus, l’absence de tout représentant ukrainien démontre comment le dossier russo-ukrainien s’est progressivement transformé au fil du temps en une guerre par procuration entre les États-Unis et la Fédération de Russie.

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Pour l’heure, rien ne permet de croire que Poutine et Trump soient sur le point de se rencontrer sur la base d’un accord déjà trouvé, ce qui rend l’issue du sommet incertaine. Très probablement, le seul point sur lequel ils seraient réellement mis d’accord sera une liste de sujets méritant une discussion commune, parmi lesquels pourrait figurer la relance d’un dialogue visant à limiter les armes stratégiques, compte tenu de l’expiration imminente de l’accord New Start de 2010.

Cependant, l’hypothèse que le sommet se conclue par l’acceptation d’un cessez-le-feu par la Fédération de Russie, bien que peu probable, ne puisse être totalement écarté. En effet, ni Poutine ni Trump ne semblent considérer Zelensky comme un interlocuteur valable et constructif, et le président ukrainien, en cas de cessation des hostilités, serait confronté à une épreuve électorale dont beaucoup estiment qu’il perdrait. Ceci dit, deux issues sont les plus probables de ce sommet américano-russe :

1– Un accord «à prendre ou à laisser» : les États-Unis et la Russie pourraient convenir d’un échange de territoires — Moscou se retirerait des territoires occidentaux occupés en échange de la totalité du Donbass. Il est toutefois hautement improbable que Zelensky accepte un tel marché, mais cela permettrait à Trump de mieux résister aux pressions de la coalition bipartisane (démocrate-républicaine) au Congrès qui prône un engagement américain continu, voire croissant, en faveur de l’Ukraine,

2– Un sommet pourrait s’avérer un événement purement intérimaire, destiné à rester dans les mémoires. En effet, cette rencontre pourrait ne déboucher que sur un processus de discussions diplomatiques multiples et sur une série d’accords techniques pour la plupart peu concluants. Dans ce cas également, Trump éviterait d’adopter une politique pro-ukrainienne plus incisive, souhaitée par de larges pans du Congrès et par ses (anciens et nouveaux) alliés européens.

Dans les deux cas, en l’absence d’un engagement américain fort, Poutine peut poursuivre son «opération militaire spéciale», désormais transformée en guerre d’usure, dans laquelle la supériorité en hommes et en moyens de la Russie continuerait de jouer à plein.

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