(Rome, 21 juillet 2025). L’Europe observe avec inquiétude la situation en Libye, qui risque une nouvelle déstabilisation. Pendant ce temps, Washington revient sur le sujet et Haftar renforce ses manœuvres politiques et militaires
Massad Boulos, conseiller principal du président Donald Trump pour les affaires africaines, est attendu à Tripoli le 23 juillet pour une visite qui marque la première intervention diplomatique officielle de la nouvelle administration américaine sur le dossier libyen. Ce voyage comprend des rencontres avec le président du Conseil présidentiel, Mohammed Menfi, le Premier ministre du Gouvernement d’union nationale (GUN), Abdelhamid Dbeibah, et le gouverneur de la Banque centrale, Naji Issa, avant une escale à Benghazi pour des entretiens avec le chef de la plus puissante milice du pays, Khalifa Haftar, chef d’un clan familial ayant des connexions internationales, notamment avec la Russie. Cette visite, plusieurs fois reportée ces dernières semaines, coïncide avec une période d’extrême fragilité pour la Libye et s’inscrit dans un contexte plus large de regain d’activisme américain en Méditerranée, écrivent Massimiliano Boccolini et Emanuele Rossi dans «Formiche.net».
Selon des sources locales, la mission de Boulos ne se limitera pas à des consultations institutionnelles. Les discussions porteront également sur le déblocage éventuel d’environ 40 milliards de dollars d’actifs libyens gelés, dont 15 milliards pourraient être affectés à de nouveaux investissements impliquant les États-Unis. Une rencontre officieuse avec le conseiller à la sécurité nationale du GUN, Ibrahim Dbeibah, aurait déjà abordé des questions sensibles telles que la réinstallation de réfugiés palestiniens et de migrants africains en Libye, en échange de garanties stratégiques de la part des États-Unis. Cette rumeur a été indirectement confirmée par une enquête d’Axios, qui a révélé que le chef du Mossad, David Barnea, avait proposé aux États-Unis la «relocalisation volontaire» de réfugiés de Gaza vers la Libye, ainsi que vers l’Éthiopie et l’Indonésie. Ce projet, s’il était confirmé, soulèverait des questions juridiques et politiques.
Parallèlement, la Libye connaît des tensions croissantes susceptibles de dégénérer en un nouveau conflit armé, au sujet duquel le Département d’État américain met en garde ses ressortissants. À Tripoli, le gouvernement de Dbeibah est en confrontation directe avec la milice Rada. Au sein du GUN, les appréciations divergent : le ministre de l’Intérieur, Imad Trabelsi, estime qu’une action militaire contre Rada pourrait être rapide, tandis que Dbeibah craint une escalade qui pourrait s’éterniser en raison de l’équilibre des forces.
La situation est exacerbée par la fragmentation de Misrata, divisée entre ceux qui entendent soutenir le gouvernement (un petit nombre) et ceux qui préfèrent la neutralité. Ce vide pourrait ouvrir la voie à une avancée de Haftar vers la capitale. Le général de Cyrénaïque, qui bénéficie du soutien russe depuis 2017 (la Cyrénaïque étant devenue au fil des ans un pôle logistique stratégique pour la Russie en Afrique), pourrait exploiter l’instabilité pour tenter une offensive. Il pourrait compter sur des contacts avec certaines milices tripolitaines, à commencer par Rada, et sur une posture turque plus conciliante que par le passé. Des ennemis qui deviennent presque alliés par pragmatisme et intérêts mutuels. Les relations économiques entretenues par son fils, Saddam Haftar, avec des acteurs proches de Recep Tayyip Erdogan, ainsi que l’absence d’une opposition armée structurée à Tripoli, rendent ce scénario plausible, à condition que Washington donne son feu vert tacite, comme cela s’est déjà produit en 2019.
Sur ce plan, les initiatives diplomatiques en cours risquent d’être reconfigurées, tandis que les équilibres militaires sur le terrain pourraient évoluer en fonction du degré d’engagement ou de retrait des partenaires internationaux.
Dans ce contexte, Saddam Haftar a intensifié son activité diplomatique. Ces derniers mois, il s’est rendu à Ankara, à Rome, au Caire et à Islamabad, rencontrant les ministres de la Défense et les chefs militaires. À Islamabad, il a discuté de coopération militaire avec le Premier ministre Shehbaz Sharif, tandis qu’à Ankara, il a été question de l’ouverture éventuelle d’une base turque à Ghat. L’activisme de Saddam est essentiel pour se forger un profile autonome et crédible aux yeux des acteurs régionaux et internationaux.
Selon l’analyste libyen Ahmed Zaher, les récentes missions internationales de Saddam Haftar doivent également être interprétées à la lumière du processus de succession à la tête de l’Est de la Libye. «Saddam ne cherche pas à s’imposer par la force, mais plutôt à se positionner comme une figure gérable et compatible avec divers scénarios de transition», explique Zaher, qui souligne que l’activisme diplomatique du jeune Haftar s’inscrit dans une stratégie de visibilité multilatérale visant à consolider une légitimité encore fragile.
L’Italie et l’Europe, poursuit Zaher, observent ce profil avec un intérêt prudent, souvent contrarié par une approche plus réactive que stratégique. Rome, en particulier, constitue pour Sadam un test décisif : un partenaire à convaincre, mais aussi le symbole d’une Europe qui peine à proposer une vision structurelle pour l’avenir institutionnel de la Libye.
Le risque émergent est double : d’une part, la déstabilisation d’une région voisine, et de l’autre, l’expansion de l’influence russe (avec l’utilisation potentielle de la question migratoire comme arme hybride). Rome a déjà exprimé ses préoccupations à Washington lors de la récente visite du ministre Antonio Tajani, appelant à un engagement plus direct de l’ONU, soutenu par les États-Unis et l’Europe, afin d’engager un processus politique crédible avant que la crise ne s’aggrave.
Dans ce contexte, une source locale affirme que la situation en Libye demeure marquée par une instabilité politique persistante et des tensions militaires latentes, sur fond de rivalités régionales et d’intérêts internationaux concurrents.
Sur le plan politique, la mission du Conseil de sécurité des Nations Unies (MANUL) semble soumise à de fortes pressions. L’envoyée Hana Tetteh devrait présenter une nouvelle feuille de route au Conseil de sécurité début août. Cependant, la fenêtre d’opportunité pour une solution pacifique se ferme rapidement.
Pendant ce temps, la France agit au sud. Selon des sources libyennes, le général Oussama Jouili, ancien ministre de la Défense et commandant de la région militaire des Montagnes de l’Ouest, se coordonnerait avec Paris pour la rétrocession de l’aéroport de Ghadamès, près des frontières avec l’Algérie et la Tunisie. Cette information ne peut être confirmée officiellement, mais l’objectif serait d’empêcher une expansion de la présence russe dans la zone, tout en réactivant l’influence de la France dans une zone historiquement stratégique pour Paris.