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La résilience de Téhéran et le pari israélien sur le soutien américain : le premier bilan du conflit israélo-iranienne

(Rome, 21 juin 2025). La guerre entre Israël et l’Iran, après plus d’une semaine, révèle des dynamiques stratégiques encore en cours de consolidation, mais dont la lecture permet de décrypter une propagande extrêmement dense et de comprendre comment ce conflit, l’un des plus complexes de l’histoire récente du  Moyen-Orient, pourrait évoluer et façonner durablement la région, écrit Andrea Muratore dans «Inside Over».

Narration contre réalité : la guerre d’Israël contre l’Iran

Comme toute guerre, celle entre Tel-Aviv et Téhéran est nourrie autant par des récits que par des faits. Des récits qui, souvent, ne résistent pas à l’épreuve de la réalité et doivent être présentés comme tels. Cela est constaté dans l’attitude des acteurs, directs ou indirects, qui ont vu leur posture nettement évoluer au fil des jours.

Le premier constat est une prémisse nécessaire à toute analyse. L’argument israélien d’une guerre préventive visant à empêcher Téhéran d’accéder rapidement à un moyen de dissuasion nucléaire s’est avéré insuffisant pour expliquer la véritable motivation de Tel-Aviv : affaiblir profondément, voire casser les fondations du régime iranien.

Après le bombardement de Be’er Sheva jeudi, le ministre de la Défense Israel Katz a déclaré sans ambiguïté que l’ayatollah Ali Khamenei était une cible militaire légitime. Le même jour, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi, a rejeté l’hypothèse selon laquelle, malgré les critiques de l’organisation sur des violations nucléaires, l’Iran accélérerait réellement ses préparatifs pour se doter de la bombe atomique.

Le régime ne s’effondre pas

Deuxième constat : malgré les coups très durs subis et la décapitation progressive des échelons supérieurs de l’armée, le pouvoir iranien ne s’est pas effondré. L’architecture baroque du régime, combinant la figure du Guide suprême, les Gardiens de la Révolution, le gouvernement officiel et les forces armées classiques, s’est révélée plus résiliente que prévu.

En particulier, le récit de Benyamin Netanyahu, repris par de nombreuses figures du camp libéral et conservateur en Europe et aux États-Unis, selon lequel la libération de l’Iran du système actuel interviendrait grâce aux frappes israéliennes, ne s’est pas concrétisé. Malgré les difficultés économiques et les tensions sociales, le régime n’a pour l’heure pas d’alternative crédible au sein de la société iranienne actuelle. L’idée d’exporter un système démocratique par la bombe, une vieille tentation récurrente, semble pour le moins erronée, et la riposte iranienne n’a suscité ni protestations ni soulèvements.

Khamenei refuse de capituler, l’appareil iranien tient bon

Dans ce contexte, le discours de Khamenei jeudi a eu une portée politique considérable. Il a rejeté toute hypothèse de «capitulation», comme l’a réclamé le président américain Donald Trump, dictant une ligne et défiant tout opposant à se manifester, ce qui ne semble pas avoir eu lieu.

Sur le terrain, l’Iran subit des coups très durs, notamment via les frappes aériennes et les missiles israéliens, mais continue à répondre avec une capacité de dissuasion réduite, mais non négligeable. À ce jour, l’attaque israélienne n’a pas :

  1. Démantelé complètement les installations nucléaires iraniennes.
  2. Provoqué de fissures irréparables au sein du régime.
  3. Convaincu les États-Unis d’entrer en guerre, en écartant toute issue diplomatique.

 Le dilemme américain et l’heure de la diplomatie

Trump a été mis à mal par de nombreux acteurs : plusieurs faucons du Parti républicain, menés par les sénateurs Ted Cruz et Lindsey Graham, militent pour une intervention directe aux côtés d’Israël. Le général Michael Erik Kurilla, à la tête du Commandement central (Centcom) en charge des opérations au Moyen-Orient, semble du même avis.

Mais une certaine froideur émane du camp du vice-président J.D. Vance, ainsi que des figures proches du mouvement Maga, comme le présentateur Tucker Carlson. Jeudi, Donald Trump a déclaré vouloir laisser une place à la diplomatie, ouvrant une fenêtre de deux semaines pour d’éventuels pourparlers avec Téhéran.

La «résurrection» de Chamakhani

À ce sujet, quelques nouvelles intéressantes méritent d’être signalées : tout d’abord, après que Trump a ouvert cette fenêtre diplomatique, des informations sont parvenues d’Iran selon lesquelles l’amiral Ali Chamakhani, conseiller principal de Khamenei et figure centrale de la diplomatie atomique avec Washington, était vivant et se remettait de ses blessures subies le 13 juin lors des frappes israéliennes qui ont inauguré la guerre. À propos de récits, les militaires israéliens annonçant son élimination.

Or, Chamkhani, réputé modéré, favorable à un désarmement partiel (renoncement à l’uranium enrichi à haut degré) et à une reprise du dialogue avec les États-Unis, pourrait à nouveau jouer un rôle central. Il pourrait reformer un tandem avec le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi pour favoriser la désescalade. Hier, les premières discussions ont eu lieu à Genève avec les diplomaties des pays de l’E3, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

L’Europe revoit sa posture

Un autre retournement concerne l’Europe. Absente lors des premiers pourparlers entre les États-Unis et l’Iran en avril, l’Europe avait d’abord adopté sans réserve la ligne israélienne. Mais aujourd’hui, les capitales européennes se montrent bien plus ouvertes à un cessez-le-feu. Le point culminant du soutien israélien avait été atteint lors du G7, où le chancelier allemand Friederich Merz avait déclaré qu’Israël faisait «le sale boulot pour nous tous».

Mais, comme le disait Giulio Andreotti, la réalité s’est révélée « un peu plus complexe ». La narration, éternelle plaie de la politique internationale, cède enfin la place au réalisme et au pragmatisme, ce qui, en affaires internationales, devrait toujours être la norme.

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