(Rome, Paris, 31 mai 2025). La chute brutale du régime de Bachar al-Assad, culminant avec la perte de Damas le 8 décembre 2024 et l’ascension d’Ahmed Al-Charaa, chef du groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), marque un tournant majeur dans l’histoire contemporaine de la Syrie. Une enquête menée par «Newlines Magazine» met en lumière un aspect resté dans l’ombre de cette transition : une opération de cyberguerre sophistiquée qui a exploité la vulnérabilité d’une armée déjà affaiblie par des années de conflit, de crise économique et de démoralisation profonde. Le récit traditionnel d’une défaite militaire due à un assaut de l’opposition à Alep ne suffit pas à comprendre la défaite rapide de l’armée syrienne. En coulisses, une application mobile apparemment anodine a joué un rôle crucial, transformant les smartphones des officiers en véritables dispositifs d’espionnage, explique Roberto Vivaldelli dans «Inside Over».
Une application piégée au cœur de la guerre cybernatique
Selon «Newlines Magazine», une application nommée STFD-686, diffusée via une chaîne Telegram sous le nom de «Syria Trust for Development» (une ONG proche d’Asma al-Assad, épouse du tyran), s’est avérée être un piège. Promettant une aide financière, l’application invitait les officiers de saisir des données personnelles et militaires sensibles, telles que leur nom, leur grade, leur localisation et les coordonnées de leurs unités. Ces données, collectées via une interface web redirigeant vers de faux sites tels que «syr1.store» et «syr1.online», ont permis aux auteurs de cartographier les positions de l’armée syrienne en temps réel, identifiant ainsi les zones vulnérables et les dépôts d’armes.
Pire encore : l’application a également installé à l’insu des utilisateurs «SpyMax», un logiciel de surveillance permettant d’accéder aux appels, aux messages, aux photos et même aux caméras des appareils, transformant les téléphones en postes de surveillance à distance.
Cette opération aurait joué sur le désespoir croissant des officiers syriens, dont les salaires réduits à environ 20 dollars par mois, conséquence de l’effondrement de la livre syrienne (passée de 50 à 15.000 pour un dollar entre 2011 et 2023), de nombreux soldats étant démoralisés et enclins à accepter toute promesse d’aide financière. En l’absence de protocole de cyber-sécurité rigoureux, comme l’avait déjà démontré l’affaire d’un téléphone oublié en 2020 dans un système Pantsir-S1, qui avait conduit à une frappe israélienne, l’armée syrienne était une cible facile. Aucun mécanisme efficace de réponse à la menace cybernétique n’avait été mis en place.
Un effondrement militaire orchestré par la technologie
L’impact de l’attaque a été dévastateur. Les données extraites ont en effet permis aux opposants de préparer l’Opération Dissuasion contre l’Agression, lancée en novembre 2024, qui mena à la chute d’Alep puis de Damas. L’enquête suggère que les attaques ciblées (notamment celle contre le centre de commandement militaire d’Alep) et la confusion au sein de l’état-major (comme les affrontements entre les troupes des généraux Saleh al-Abdallah et Souhail al-Hassan le 6 décembre) ont été largement facilitées par cette fuite massive d’informations.
L’identité des commanditaires reste floue : il pourrait s’agir de factions rebelles ? De services de renseignement régionaux ou occidentaux ? D’acteurs non identifiés ? Ce qui est certain, c’est que l’opération illustre une nouvelle ère de guerre hybride, où la technologie exploite les faiblesses humaines et institutionnelles d’États déjà fragilisés.
L’Union européenne allège ses sanctions contre Damas
Dans la foulée du changement du régime d’Assad, l’Union européenne a opté pour un soutien politique à la transition du pays et le gouvernement d’Al-Charaa. Le 20 mai, le Conseil de l’UE a entamé le processus de levée de toutes les sanctions économiques imposées à la Syrie, à l’exception de celles motivées par des raisons de sécurité. Cette décision, comme l’a déclaré Kaja Kallas, Haute Représentante pour les Affaires étrangères, vise à «soutenir le peuple syrien dans la réunification et la reconstruction d’une Syrie nouvelle, inclusive, pluraliste et pacifique».
Vingt-quatre entités, dont la Banque centrale de Syrie et d’autres entreprises des secteurs pétroliers, cotonniers et celui des télécoms, ont été retirées des listes de sanctions. Cependant, l’UE a prolongé les sanctions contre les personnes et entités liées au régime d’Assad jusqu’au 1er juin 2026 et a introduit de nouvelles mesures restrictives à l’encontre de deux individus et trois entités impliqués dans de graves violations des droits humains dans la région côtière syrienne en mars 2025 : des violences qui ont été commises avec le silence complice des hommes d’al-Charaa.
L’État islamique défie le nouveau pouvoir syrien
Alors que le pays entre dans une phase de reconstruction fragile, la menace de l’État islamique (EI) refait surface. Selon le «Site Intelligence Group» et l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), le 29 mai, le groupe a revendiqué son premier attentat contre les forces du nouveau gouvernement. Dans la province de Soueida (sud), un engin explosif télécommandé a visé un véhicule de la 70e division de l’armée syrienne, tuant un soldat et en blessant trois autres.
Bien que vaincu militairement en 2019, Daech maintient une présence dans les zones désertiques et continue de frapper, notamment contre les forces kurdes dans le nord-est. Récemment, les autorités syriennes ont arrêté des membres d’une cellule de Daech près de Damas, accusés de planifier des attentats, tandis qu’une opération à Alep a entraîné la mort d’un officier et de trois membres présumés de l’État islamique.
Lors d’une réunion à Riyad, le président américain Donald Trump a exhorté le dirigeant syrien par intérim, Ahmad Al-Charaa, à œuvrer ensemble pour empêcher la résurgence de l’organisation terroriste (EI), soulignant l’importance d’une vigilance constante.