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Au nom des F-35, les États-Unis et la Turquie redeviennent amis : l’État de droit peut attendre

(Paris, Rome, 31 mars 2025). Alors que les principales villes de Turquie sont secouées par des manifestations en raison de l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, du Parti républicain du peuple (CHP), sur la base d’accusations manifestement opportunistes allant de la corruption au soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’Ankara a qualifié d’organisation terroriste, le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan s’est rendu à Washington afin de rencontrer le secrétaire d’État américain Marco Rubio, comme le rapporte «Inside Over», à travers la plume de Thomas Brambilla.

Le réchauffement des relations américano-turques et la question des F-35

Au cœur de la réunion prévue entre les représentants des deux gouvernements se trouvait une discussion visant à lever les obstacles à la coopération industrielle dans le secteur de la défense. Cette rencontre fait suite à un appel téléphonique entre Trump et Erdogan les jours précédents, qualifié de «transformateur», laissant entrevoir une détente dans les relations entre Ankara et Washington, devenues complexes sous l’administration Biden en raison des politiques des démocrates américains, qui cherchaient à isoler la Turquie du marché industriel de l’armement en raison de l’ambiguïté stratégique qu’Ankara cultive avec Moscou, malgré son statut de membre influent de l’OTAN.

Les intentions d’Ankara sont claires : profiter de la détente américano-russe et du contexte historique favorable pour renouer les relations avec Washington et réintégrer le programme d’avions F-35 dont elle avait été exclue malgré son rôle de producteur et d’acheteur. Depuis 2020, toujours sous l’ère Trump, la Turquie est soumise à des sanctions américaines du «Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act» (CAATSA), une loi prévoyant des mesures punitives contre les ennemis des États-Unis d’Amérique. La Turquie a été touchée par cette mesure après avoir acheté en 2019 des systèmes de missiles de défense aérienne russes S-400, qui ont ensuite été rendus inopérants afin d’éviter une dégradation supplémentaire des relations avec Washington.

Avec l’arrivée de Trump au pouvoir et le revirement de la politique étrangère américaine, Erdogan tente de maximiser ces nouveaux équilibres pour servir ses propres intérêts industriels et de défense. Selon une source citée par Reuters, lors de la réunion Fidan-Rubio, les deux parties «ont clairement exprimé leur volonté politique de lever les obstacles à la coopération dans l’industrie de la défense», ajoutant que «des discussions techniques visant à résoudre les problèmes existants» auront lieu prochainement. Des sources turques ont également révélé un détail clé de l’accord, selon lequel Ankara viserait à parvenir à un accord tout en maintenant les S-400 inopérants, sans toutefois renoncer définitivement à ce programme d’armement acheté à la Russie. Toute levée des sanctions contre la Russie aurait donc également des répercussions sur les pays tiers affectés par ces restrictions politico-diplomatiques.

Le rôle stratégique de la Turquie

Ces derniers mois, la Turquie a pris une importance croissante sur les fronts industriel et politique. Outre la possible détente avec les États-Unis, il ne faut pas oublier l’accord Leonardo-Baykar pour la production de drones militaires de dernière génération. Ce partenariat italo-turc permettra à Ankara d’accéder de manière significative au marché européen des drones, qui affiche une perspective de croissance pouvant atteindre 100 milliards d’euros dans les dix prochaines années.

Le rôle de leader autoproclamé que la Turquie s’est attribué dans le scénario syrien post-Assad, sans l’opposition des États-Unis et des États européens, renforce encore sa position sur l’échiquier du Moyen-Orient. Ankara joue ainsi un rôle important dans la définition de l’avenir de la Syrie, un pays dont Erdogan souhaite contrôler l’évolution pour servir ses intérêts régionaux. De plus, la Turquie s’impose comme un acteur central dans le conflit avec l’axe iranien, de plus en plus affaibli par les frappes militaires israéliennes, la décapitation de son mandataire, le Hezbollah, et la chute d’Assad.

Peu importe que la Turquie soit aux prises avec l’une des vagues de protestations populaires anti-gouvernementales les plus intenses des dix dernières années, ayant conduit à près de 1.900 arrestations jusqu’à présent, dont neuf journalistes, suite à la confirmation de l’emprisonnement du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu. Cette décision, qui risque d’aggraver davantage les paramètres déjà faibles de la démocratie et de l’État de droit en Turquie, renforce davantage la position d’Erdogan, au pouvoir depuis 2003. Les intérêts industriels américains et européens restent prioritaires, la démocratie peut toujours attendre.

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