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Syrie : le coup de maître d’Al-Charaa, les Kurdes acceptent la souveraineté de Damas

(Rome, Paris, 10 mars 2025). La Syrie est en pleine tourmente après le déclenchement d’affrontements extrêmement violents dans le Nord-Ouest et Ahmad Al-Charaa, président par intérim du pays depuis environ un mois, tente de réagir face au risque de désintégration du pays par un geste historique : conclure un accord pour l’intégration des Forces démocratiques syriennes (FDS), à majorité kurde, dans l’armée de Damas en échange de la reconnaissance de la souveraineté du nouveau régime sur l’administration autonome du Rojava, qui s’est taillé une semi-indépendance dans le tourbillon de la guerre civile qui fait rage depuis 14 ans, écrit Andrea Muratore dans le média «Inside Over».

L’accord kurdo-syrien, une avancée historique

A Damas, ce soir, Ahmad Al-Charaa et Mazloum Abdi, chef des FDS, ont conclu cet accord historique qui, de fait, restaure la souveraineté du pays au-delà de l’Euphrate et vise à lui donner un semblant d’unité et de contrôle. Les massacres de civils alaouites ayant suivi le début du soulèvement des loyalistes du président déchu, le tyran de Damas, Bachar al-Assad avaient, ces derniers jours, révélé un triple problème pour le gouvernement d’Al-Charaa.

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D’abord, ils ont mis en évidence le caractère radical et violent de nombreuses milices islamistes affiliées à Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), principal groupe du soulèvement anti-Assad. Ensuite, ces évènements ont servi d’alerte en montrant l’écart entre les discours unificateurs du leader militant devenu président, et la réalité du terrain, où le respect des minorités reste toutefois incertain. Enfin, ils ont souligné la fragilité du contrôle du gouvernement de Damas sur ses périphéries et fait pleuvoir de vives critiques internationales, dont celle des Etats-Unis, alliés des Kurdes.

Le pacte avec Abdi sert à fermer une ligne de fracture ouverte sur ces fronts et à établir deux principes clés : d’une part, les Kurdes acceptent l’indivisibilité de l’État syrien, actuellement fragmenté par la fragilité du contrôle sur de nombreuses périphéries et le risque de marginalisation des minorités. Cette situation était cruciale pour Al-Charaa, qui cherche à éviter d’être réduit, face aux révoltes alaouites, au statut de «maire de Damas» ou guère plus. De l’autre, le gouvernement central accepte l’intégration de l’appareil dirigé par les Kurdes sur un pied d’égalité substantielle, garantissant aux Kurdes qu’ils ne seront pas menacés par une offensive la plus redoutée, celle de la Turquie, patronne du régime de Damas et qui vise depuis longtemps à résoudre une fois pour toutes la question des FDS.

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Un échiquier en mouvement

En outre, le récent pacte entre le gouvernement d’Ankara et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) visant à mettre fin aux combats, a modifié le paysage stratégique. Cela a forcé à la fois les Kurdes de Syrie à réfléchir à leur avenir et Al-Charaa et ses alliés Turcs, à saisir cette occasion pour obtenir un succès politique tant attendu.

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Resul Serdar d’Al Jazeera a souligné que «dans un pays multiethnique et diversifié sur le plan religieux comme la Syrie», cet accord garantit que «le peuple kurde fait partie intégrante de la Syrie et a le droit à la citoyenneté et à des droits constitutionnels garantis». Il crée un précédent. D’autres groupes observent-ils ce développement avec attention ? «Des sectes comme les Alaouites ou les Druzes auront-elles également un statut particulier ? «Cela  reste, pour l’heure, incertain», a souligné Serdar. Mais cet accord a indéniablement une portée géopolitique considérable, à un moment où la Syrie semble s’orienter vers une nouvelle désintégration. Il faudra voir comment cela sera appliqué dans la pratique : l’unification des commandements militaires et la garantie du pluralisme sont des objectifs fondamentaux pour donner un élan aux nouvelles institutions syriennes.

Soit la Syrie est pluraliste, soit elle ne l’est pas : après quatorze ans de guerre civile, cette vérité semble être la seule certitude guidant ses décideurs. Cet accord comporte en tout cas un pari risqué : s’il est respecté, il consolidera le nouvel Etat syrien. S’il échoue, il pourrait révéler que la chute d’Assad n’a pas marqué un nouveau départ pour Damas. Et pour Al-Charaa et les Kurdes, l’enjeu est immense et son issue reste toutefois incertaine.

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