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Opération Phoenix, c’est ainsi que la Russie renaît en Libye

(Rome, 06 janvier 2025). Le Corps d’Afrique russe utilise la Libye comme un centre névralgique pour ses opérations sur le continent africain, tandis que le Kremlin négocie avec le général Haftar pour sécuriser une base navale alternative à celle de Tartous. Malgré l’opposition du gouvernement libyen et les inquiétudes de l’OTAN, Moscou tente de transformer la défaite syrienne en une nouvelle opportunité stratégique en Méditerranée. L’analyse du général Ivan Caruso, conseiller militaire de la Société italienne pour l’organisation internationale (SIOI)

La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie a déclenché une reconfiguration rapide de la présence militaire russe en Méditerranée et en Afrique du Nord. L’intense activité aérienne, avec plus d’un vol par jour de gigantesques Antonov AN-124 et Iliouchine IL-76 depuis la base syrienne de Hmeimim vers la base libyenne d’al-Khadim, près de Benghazi, révèle l’urgence pour Moscou à repositionner ses forces stratégiques, écrit le général Ivan Caruso dans «Formiche.net».

L’objectif du Kremlin semble clair : trouver une alternative aux bases syriennes de Hmeimim et de Tartous, qui, depuis près d’une décennie, ont garanti à la Russie une présence militaire significative en Méditerranée. Les premières manœuvres ont été immédiates : un avion de la compagnie syrienne Cham Wings a atterri à Benghazi avec à son bord des officiers fidèles au régime d’Assad, tandis qu’Assad lui-même et sa famille ont trouvé asile à Moscou «pour des raisons humanitaires».

Au cœur de cette stratégie se trouve le renforcement de la présence russe en Libye, avec une attention particulière pour la base d’al-Khadim et à la construction d’une nouvelle installation militaire sur l’ancienne base aérienne de Matan As Sarra. Cette dernière (pour les plus curieux, voici les coordonnées : 21°41′20″N 021°49′50″E) qui, avant son abandon en 2011, disposait de trois pistes et d’infrastructures permettant d’accueillir de nombreux avions militaires, représente un point stratégique crucial de par sa position dans le triangle Libye-Tchad-Soudan, idéale pour lancer des opérations en Afrique subsaharienne.

L’«Africa Corps» russe, héritier du groupe Wagner sur le continent africain, utilise déjà la Libye comme hub pour ses opérations au Mali, en Centrafrique, au Soudan et au Burkina Faso. Des vidéos géo-localisées montrent des avions russes, après une escale en Libye, poursuivant leur route vers Bamako au Mali, où Moscou a récemment remplacé l’influence française de longue date.

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En parallèle, la Russie transfère vers l’est de la Libye des systèmes de défense aérienne avancés, notamment des missiles S-400 et S-300, précédemment déployés en Syrie. Le vice-ministre russe de la Défense Younes-Bek Yevkourov a effectué plusieurs visites en Libye pour consolider les liens avec le général Khalifa Haftar, le leader autoproclamé de l’est de la Libye, suggérant la possibilité de transformer un port sous son contrôle en une alternative à la base navale de Tartous.

L’initiative russe a suscité des réactions internationales immédiates. Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah a exprimé un refus catégorique de l’entrée des forces russes en provenance de Syrie, soulignant que toute présence militaire étrangère doit être autorisée par des accords officiels. L’Union européenne, par la voix de son ambassadeur en Libye Nicola Orlando, a souligné l’importance du retrait de tous les combattants et mercenaires étrangers du pays.

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Les implications stratégiques de ce repositionnement russe sont multiples. Pour l’OTAN, la présence russe en Libye représente un défi de taille, car elle rapproche encore davantage les forces de Moscou des frontières de l’Alliance. Pour les pays d’Afrique du Nord, cette évolution pourrait modifier les équilibres régionaux, la Libye risquant de devenir un nouveau terrain d’affrontement entre puissances mondiales.

La situation reste fluide et ses implications sur les équilibres régionaux restent à définir. Ce qui semble clair, c’est que la Russie, bien qu’elle ait subi un revers significatif en Syrie, cherche à transformer cette crise en une opportunité pour redéfinir et potentiellement étendre sa présence en Afrique du Nord. Le succès ou l’échec de cette stratégie pourrait redessiner de manière significative le rapport des forces dans le sud de la Méditerranée et influencer les dynamiques géopolitiques de l’ensemble de la région dans les années à venir.

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