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C’est ainsi que la Syrie peut devenir un terrain d’essai pour Poutine

(Rome, 03 décembre 2024). Moscou risque de faire de son implication en Syrie une nouvelle démonstration des limites de son influence. Un test pour Poutine, déterminé à faire ses preuves à la tête d’une superpuissance

La Syrie représente l’un des principaux théâtres sur lesquels la Russie a cherché à affirmer son statut de grande puissance. L’intervention de 2015, parallèle aux opérations en Crimée et dans le Donbass, a été décrite comme un choix d’une superpuissance responsable, capable de faire face aux menaces mondiales, notamment aux terrorismes djihadistes, car l’intervention en Syrie en soutien au régime sanguinaire d’Assad a été décrite comme un choix de responsabilité face à la consolidation de l’État islamique, représentant toute opposition comme appartenant au monde de l’extrémisme terroriste. C’est pourquoi les derniers développements sur le terrain mettent en évidence les limites de Moscou dans son soutien à Bachar al-Assad, laissant planer des doutes sur sa capacité à maintenir le contrôle d’un allié stratégique à un moment crucial. (Et c’est pourquoi les groupes qui ont pris le contrôle de diverses régions syriennes, qu’ils sont engagés dans un processus de responsabilisation pour empêcher la propagande de Moscou de les présenter comme des djihadistes brutaux, utilisant ce récit par procuration afin de protéger leurs propres faiblesses).

La position de la Russie en Syrie est non seulement militaire, mais aussi symbolique. Les bases de Tartous et de Hmeimim représentent l’infrastructure de projection de la puissance russe en Indo-méditerranéenne. La Syrie est un nœud central de l’expansion géopolitique de Moscou, un axe qui (d’un point de vue macro) relie l’Arctique, la mer Noire et même l’Indo-Med. La perte d’influence en Syrie signifierait non seulement un coup direct porté à la stratégie russe, mais aussi un affaiblissement de l’image de Moscou en tant qu’acteur international capable de construire une infrastructure géopolitique mondiale, notamment en soutenant des alliés douteux, comme Bachar al-Assad, écrit Emanuele Rossi dans «Formiche.net».

Depuis 2015, lorsque la Russie est intervenue pour empêcher l’effondrement du régime syrien, Moscou a cherché à trouver un équilibre entre la stabilisation du territoire et le maintien d’une présence qui renforce sa position internationale. Cependant, son implication en Ukraine a réduit les ressources disponibles en Syrie, avec le retrait de milliers de soldats du pays suite à l’invasion à grande échelle de 2022.

La Syrie est un espace où les équilibres régionaux et mondiaux se croisent. En fait, la Russie doit aussi gérer les intérêts de la Turquie, un coopérant que Poutine ne veut pas trop mécontenter. Le vide laissé par la réduction de l’engagement russe et l’affaiblissement de l’Iran représente une opportunité pour Ankara de renforcer son influence dans le nord du pays. Recep Tayyp Erdogan voit la Syrie à la fois une menace représentée par les Kurdes des YPG et une opportunité de consolider le rôle turc au Moyen-Orient. Mais Ankara doit également agir avec prudence : la relation avec la Russie, bien que pragmatique et transactionnelle, est cruciale pour éviter une confrontation directe.

Toutefois, le sort du régime d’Assad reste profondément incertain. Si la fragilité de son gouvernement est historiquement connue, son isolement actuel est le résultat de l’absence de stratégie de construction de l’État par les russes. Moscou a fait preuve de son habileté à utiliser la force militaire pour assurer la survie du régime, mais n’a pas réussi à construire un système politique stable et durable. Cet échec, combiné aux pressions internes et externes exercées sur Assad, remet en question la capacité de la Russie à maintenir le contrôle sur l’un de ses plus importants alliés.

Cette situation est-elle le reflet de la faiblesse croissante de la Russie sur la scène mondiale ? Au-delà des actions de marketing géopolitique (comme le renforcement de certains partenariats avec des régimes putschistes en Afrique, ou des manœuvres symboliques en Méditerranée et dans l’Indo-Pacifique), le conflit en Ukraine risque de mettre en évidence les limites de la capacité de Moscou à soutenir simultanément plusieurs fronts et les réponses de Moscou aux derniers développements en Syrie ont été étonnamment apathiques. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, s’est limité à déclarer que les autorités syriennes doivent «restaurer l’ordre et rétablir l’ordre constitutionnel dans les plus brefs délais».

Toutefois, malgré les difficultés, il est peu probable que la Russie et l’Iran, avec des intérêts similaires mais différents, abandonnent complètement Assad. Tous deux ont investi des milliards dans la guerre en Syrie (Téhéran dans une mesure nettement plus importante) et pour les deux, la perte de Damas représenterait un échec stratégique d’une ampleur effrayante. La présence des forces russes et iraniennes sur le terrain, bien que réduite, témoigne de la volonté de continuer à soutenir le régime. Ces derniers jours, les avions de combats russes stationnés à la base de Hmeimim ont intensifié leurs bombardements sur Idlib, signe que Moscou n’a pas l’intention de perdre le contrôle de la région, même si ses ressources sont plus limitées.

En effet, l’histoire récente montre que sous-estimer les intérêts russes et iraniens en Syrie est une erreur. Les deux acteurs ont réussi à mobiliser des forces disparates pour soutenir Assad, et le feront à nouveau, bien qu’avec des ressources réduites. Toutefois, le tableau général suggère que Moscou et Téhéran ne seront pas en mesure de reproduire le même niveau de soutien qu’il ​​y a dix ans.

En Syrie, la Russie se trouve donc confrontée à une épreuve cruciale. Ne pas maintenir le contrôle d’Assad signifierait non seulement la perte de son influence au Moyen-Orient, mais aussi compromettre son image de grande puissance. Comme le note une source analysant la dynamique internationale, en 2008, on pensait que la Russie s’arrêterait à la Géorgie ; en 2014 en Crimée ; en 2015 en Syrie ; et en 2022 en Ukraine. «À chaque fois, on pensait que Poutine n’avait besoin que d’une démonstration. Cependant, Moscou continue de démontrer que sa stratégie ne s’arrête jamais, malgré ses faiblesses inhérentes. Pourtant, à chaque fois, il s’enlise, confirmant que la narration construit autour de certaines actions dépasse de loin les résultats concrets».

«Je sais que j’insiste, mais la Russie ne devrait pas être considérée comme une grande puissance», commente le chercheur Colin Clarke. «Oui, elle possède du pétrole, du gaz et des armes nucléaires, mais soyons réalistes : Moscou peut à peine soutenir un dictateur bon marché comme Assad, aligné contre un groupe de rebelles désorganisés qui contrôlent une grande partie du territoire syrien». La Syrie est-elle alors le test ultime de la capacité de la Russie à projeter sa puissance mondiale, à une époque où ses ressources sont sous pression et sa crédibilité remise en question ? Moscou risque de faire de son implication en Syrie une nouvelle démonstration des limites de son influence.

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