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Liban : Sabra et Chatila, de nouvelles révélations sur le rôle de Damas

(Montréal, 16 septembre 2024). Bien qu’éclipsés par l’actualité brûlante dans la région, les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, commis dans la banlieue de Beyrouth entre le 16 et le 18 septembre 1982, deux jours après l’assassinat du président élu Bachir Gemayel, demeurent des crimes délibérément impunis pour servir de carburant à la discorde interlibanaise. Et pour cause, de nouvelles révélations incriminent le régime syrien, jadis ennemi juré de Yasser Arafat et du Liban, et qui cherchait – et qui rêve toujours de pouvoir le faire – à s’accaparer de la carte palestinienne et de vassaliser le Liban.

Le 14 septembre 1982, une forte explosion a assassiné le président élu Bachir Gemayel dans son fief d’Achrafieh, tuant avec lui une vingtaine de ses lieutenants et partisans. Gemayel a été tué pour avoir redressé le pays avant même de s’installer dans ses fonctions. Il incarnait le rêve de tous les Libanais qui aspiraient à un Etat juste, libre, indépendant, souverain et prospère. Son assassinat visait à juste titre à tuer le rêve dans l’œuf et à empêcher la renaissance du Liban, jadis la Suisse de l’Orient, et à faciliter son occupation par la Syrie.

L’assassinat de Bachir Gemayel fut revendiqué par Habib Chartouni, un membre du Parti National Syrien Social. Chartouni fut le premier prisonnier à être libéré par l’armée syrienne qui, sous couvert de chasser le général rebelle Michel Aoun du palais présidentiel le 13 octobre 1990, a parachevé l’occupation du dernier bastion libre du Liban et la destruction de l’embryon de l’Etat souverain. Depuis lors, Chartouni ne jouit pas seulement de sa liberté en Syrie, mais il est surtout élevé au rang de «héros national». Nawaf Moussawi, ancien député du Hezbollah, vient de le rappeler dans une déclaration à la télévision : «celui qui songerait à se faire élire à la présidence de la République sans l’aval du Hezbollah sera empêché de gouverner. Il sera éliminé par d’autres héros semblables à Habib Chartouni, ce héros national qui avait accompli son devoir national… ».

Les massacres de Sabra et Chatila avaient fait des centaines, voire des milliers de morts parmi les partisans de Yasser Arafat. Ils ont fait chuter le gouvernement israélien et profondément ému l’opinion publique internationale, la responsabilité d’Israël, force d’occupation, étant pleinement engagée. Son armée se devait de protéger la population occupée. La chute du gouvernement d’Itshak Shamir et d’Ariel Sharon a alors permis le retour de la Syrie et de ses alliés sur le théâtre libanais, le renforcement du mouvement Amal et la création du Hezbollah. Le maintien du secret autour de l’identité des exécutants de ces massacres a ainsi servi des années durant à accuser à tour de rôle et en fonction des intérêts du moment le parti des Forces Libanaises, le parti Kataëb et Israël.

Ce n’est qu’en 2001, soit près de 20 ans après les faits, qu’une enquête judiciaire a été ouverte en Belgique pour faire la lumière sur les massacres de Sabra et Chatila, à la suite d’une plainte déposée par des rescapés contre des dirigeants israéliens. Parmi les témoins figurait Elie Hobeika, l’un des principaux responsables de la sécurité au sein du parti des Forces Libanaises à l’époque des faits, soupçonné d’être un agent syrien depuis la faille dans le dispositif sécuritaire qui a tué Bachir. Des soupçons qui se sont renforcés après son ralliement à la Syrie en 1985. Après l’opération du 13 octobre 1990, Hobeika a été récompensé par la nouvelle occupation : plusieurs fois ministre et députés entre 1992 et 2000.

Après la mort de son parrain Hafez Al-Assad en juin 2000, Hobeika est tombé en disgrâce et a perdu ses mandats. Après les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, il a senti le vent tourner et a tenté de se rapprocher des Américains, leur proposant ses services dans la lutte contre le terrorisme. Il a surtout promis de témoigner devant la justice belge, affirmant que son témoignage «retournerait la situation régionale de fond en comble». Il fut assassiné deux jours plus tard, en janvier 2002.

De fait, le témoignage de Hobeika pouvait dévoiler l’identité des commanditaires et des exécutants des massacres et mettre un terme à un «commerce très lucratif» du sang palestinien fait par Damas. Il n’est un secret pour personne que Hafez Al-Assad a exploité Arafat et l’OLP pour déstabiliser le Liban en vue de l’occuper, avant de les massacrer pour s’accaparer de la carte palestinienne. Personne n’a oublié la guerre des camps de Beyrouth, ni le siège de Tripoli. Les Palestiniens, les Libanais et maintenant les Syriens reconnaissent désormais que «le régime des Assad père et fils a fait beaucoup plus de morts parmi les Arabes que toutes les guerres israélo-arabes».

Le témoignage de Hobeika devenait menaçant. En effet, selon une source de la Sûreté générale libanaise, «Hobeika détenait un document signé par un officier syrien à qui il avait lui-même remis des centaines d’uniformes complets des Forces Libanaises (treillis, rangers, képis…) semblables à l’uniforme de l’armée israélienne». Selon notre source, «c’est un commando syriens vêtu de l’uniforme israélien fourni par Hobeika qui a commis le massacre de Sabra et Chatila». «En menaçant de dévoiler ces informations, Elie Hobeika s’est condamné à mort. Il fut tué deux jours plus tard» conclut notre source.

Le cas de Sabra et Chatila n’est pas le seul, bien qu’il soit le plus sanglant. Le régime syrien et ses agents libanais n’ont pas lésé sur les moyens contre les Palestiniens, mais aussi contre les souverainistes libanais, en commençant par le druze Kamal Joumblatt, puis le chiite Moussa Sadr (disparu en Libye sur demande de Hafez Al-Assad, selon des proches de Rabab Sadr), puis le maronite Tony Frangieh (pour diviser le Front Libanais), avant de s’attaquer à Bachir Gemayel puis au sunnite Rachid Karamé, ainsi qu’au mufti sunnite Hassan Khaled et le président maronite René Mouawad. Après Elie Hobeika ce fut le tour de Rafic Hariri et une vingtaine de ses proches, puis tous les ténors de la Révolution du cèdre.

Qui croire dans cette région où les massacres succèdent aux tueries ? L’Etat syrien terroriste et ses alliés, tout aussi terroristes, qui ont sur leur actif plus de 600.000 morts, un million de mutilés et 12 millions de déplacés en Syrie ? L’Etat d’Israël qui n’est plus à un massacre près ?

Quoi qu’il en soit, après 42 ans, le secret des massacres de Sabra et Chatila pourrait enfin être percé grâce aux discrétions d’un ancien officier libanais. Malheureusement, la plupart des acteurs et des témoins de l’époque sont morts, soit naturellement avec l’âge, soit tués car ils sont devenus encombrants. Ils ne peuvent plus se défendre ni confronter leurs points de vue. Mais il est légitime de parier que les massacres de Sabra et Chatila serviront encore des décennies pour occulter les massacres commis par le régime syrien contre Damour, Deir Achache, Deir Jennine, Qâa, Tripoli, Achrafieh…

Sanaa T.

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