(Rome, 31 juillet 2024). Le leader politique du Hamas, Ismail Haniyé, a été tué à Téhéran, éliminé par un probable raid israélien. Les effets seront considérables, pèseront sur les équilibres régionaux et impliqueront l’ensemble de l’Axe de la Résistance dirigé par les Pasdaran
Le chef du Bureau politique du Hamas, Ismail Haniyé, a été tué au cours d’une mission extrêmement précise, probablement israélienne, à Téhéran, où le dirigeant palestinien célébrait l’investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian, un événement au cours duquel, hier après-midi, le Parlement (Al-Majles) a éclaté en «mort à l’Amérique» et «mort à Israël», des propos scandés directement par les députés sur les bancs. Ce détail apparemment pittoresque sert à situer le contexte : ces chants ont eu lieu avant l’élimination de Haniyé, et l’on peut désormais s’attendre à ce que l’Iran réagisse pour le coup majestueux qu’il a subi.
Tuer le chef de la branche politique du Hamas (qui a fait l’annonce et a immédiatement accusé Israël) alors qu’il se trouvait dans la capitale de la République islamique est une opération sensationnelle. Formidable en termes de cadre technique et logistique (bien que la dynamique ne soit pas encore connue, seulement que l’appartement dans lequel il dormait a été frappé par un missile à deux heures du matin) ; une opération dévastatrice sur le plan symbolique et stratégique. Cela signifie que l’Iran n’est pas un endroit sûr et que, par conséquent, des milices comme le Hamas et ce qu’on appelle l’Axe de la Résistance n’ont aucune sécurité, même au cœur de leur système de financement, et surtout de protection internationale, nous explique Emanuele Rossi dans «Formiche.net».
L’impact de ce qui s’est passé se répercutera sur le Hezbollah au Liban (dont, dans les mêmes heures, un haut commandant, Fouad Choukr a été éliminé, ce qui était très important), sur les Houthis yéménites, sur les différents groupes et sous-groupes armés chiites irakiens, sur les brigades afghanes Fatemiyoun et sur les pakistanaises Zainabiyoun. Tous vont désormais être mobilisés par la cause iranienne, qui réside principalement dans le corps théocratique militaire, politique, économique et social, connu sous le nom de «Pasdaran». Téhéran doit réagir à ce coup dur et, ce faisant, il devra exprimer sa colère, avec pour objectif principal de rassurer ce réseau d’affiliés. Parce que les groupes politiques et armés avec lesquels les Pasdaran projettent aujourd’hui leur influence géopolitique dans la région doivent démontrer (par les récits et les faits) que la République islamique peut répondre à l’agression de l’ennemi juif détesté.
Dans le récit de propagande du régime, l’élimination de Haniyé sera décrite comme un affront, une déclaration de guerre (également parce qu’il est peu probable qu’Israël la revendique directement, à moins qu’il ne veuille des effets encore plus importants) ; le récit sera présenté comme une œuvre non seulement d’Israël mais d’autres protecteurs occidentaux ; et il est clair que la responsabilité en sera imputée aux États-Unis, qui devront à leur tour gérer la situation. S’il est vrai qu’une grande majorité de citoyens iraniens utiliseront cette affaire comme une démonstration supplémentaire selon laquelle le régime n’est plus capable de défendre son territoire, et donc confirmera la ligne critique qui dure depuis des années, une autre ligne, plus idéologique, s’indignera. Sur ce point, qui ne coïncide théoriquement pas parfaitement avec la base du consensus du réformateur Pezeshkian, le régime tirera parti de la riposte.
Le traitement de la question par Washington sera aussi complexe. Cela ne concerne pas les équilibres internes iraniens, du moins pas totalement et non exclusivement. La Maison Blanche a en effet accueilli Benyamin Netanyahu il y a une semaine et, parmi les différentes réunions, il est possible que le plan d’élimination de Haniyé ait également été discuté. Du moins, il est possible que la CIA ait été informée d’une manière ou d’une autre de l’action (qu’elle y ait contribué ou qu’elle l’ait approuvée est moins important que l’absence d’avertissement). Pour les Américains, la gestion des retombées (qui seront considérables) se fera dans multiples directions.
Tout d’abord, les négociations, telles que celle menée à Rome avec l’Egypte et le Qatar pourraient être engagées pour parvenir à un cessez-le-feu, donc à la libération des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre, lorsque le groupe terroriste palestinien a attaqué Israël et a déclenché l’actuel saison de guerre. Ensuite, la sécurité des structures militaires au Moyen-Orient devra être renforcée, étant donné que dans la réaction de «l’Axe de la Résistance», même les bases américaines pourraient faire partie des cibles. Ce renforcement des mesures de sécurité constitue un problème qui sera également partagé par les alliés de l’État hébreu dans le reste du monde, à commencer par l’Europe, car des loups solitaires ou des cellules (dormantes) plus organisées pourraient frapper les intérêts israéliens ou les citoyens de confession juive où qu’ils se trouvent. En outre, Washington devra gérer les relations avec les partenaires régionaux (par exemple : quid de l’Arabie Saoudite, avec laquelle Washington souhaiterait une normalisation des relations diplomatiques avec Israël ? Et qu’en-t-il du Qatar, allié non membre de l’OTAN et principal allié militaire arabe des Américains, qui protège l’aile politique du Hamas et qui a offert à Haniyé un refuge sûr pendant des années ?). Enfin, il y aura des critiques et des considérations à résorber, même au sein de l’ONU, de la part de la Russie et de la Chine, partenaires de l’Iran et, à ce stade, très critiques à l’égard d’Israël, et même à l’égard des États-Unis.
Ce qui s’est passé ne se limitera donc pas au champ de bataille de la bande de Gaza. Israël a fait du premier jour de présidence de Pezeshkain un cauchemar, prouvant une fois de plus qu’il est capable de frapper n’importe où, même pendant l’un des moments les plus intimes de la vie sociopolitique de la République islamique. Netanyahu encaisse un succès, en éliminant l’Axe des Cadres de la liste des dirigeants ennemis et en quelque sorte responsables du 7 octobre (dont Haniyé suivait la nouvelle à la télévision ce jour-là, comme le raconte une célèbre vidéo dans laquelle il priait et souriait) pour le courage des assaillants palestiniens, tandis que défilaient les images de la dévastation qui avait provoqué plus d’un millier de morts et celles, plus tragique, des personnes kidnappées). Pour le Premier ministre israélien, il faudra désormais gérer les effets, en commençant tout d’abord par l’intérieur, par la réaction en Cisjordanie et parmi les Arabes israéliens.
Pour rappel, Benyamin Netanyahu avait averti, cinq jours après le terrible massacre du 7 octobre 2023, que «tout membre du Hamas est un homme mort». Ismaïl Haniyeh n’était pas n’importe quel «membre du Hamas». Israël est le seul pays à pouvoir frapper ainsi, et à avoir des raisons de le faire. Il est utile de noter que depuis la création d’Israël en 1948, les israéliens ont développé un réel savoir-faire de l’«assassinat ciblé».
Il est difficile de penser que ce qui s’est passé pourrait au contraire tout arrêter, changer la donne et offrir à Israël une victoire totale, malgré la démonstration de sa suprématie. Plus probable est la montée des tensions vers un point de non-retour : une guerre régionale.