La «ligne Stoltenberg» progresse en Europe sur les armes à fournir à Kiev. Ce qui pourrait arriver

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(Paris, Rome, 30 mai 2024). La proposition de Stoltenberg fait consensus mais ne convainc pas l’Italie, l’Espagne et la Belgique. À quoi peut-on s’attendre ?

Entre le «oui» décidé et les pays qui «réfléchissent», la «ligne Stoltenberg» de ces derniers jours ne semble plus être une grande hérésie. «Je pense que le moment est venu de remettre en question certaines restrictions» quant à l’utilisation par Kiev des armes occidentales «pour permettre aux Ukrainiens de se défendre». C’est ce qu’a rappelé le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à Prague, où, ce soir et demain se tient une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Dans la capitale tchèque, Stoltenberg a confirmé que lors du sommet de Washington prévu du 9 au 11 juillet, l’OTAN cherchera à renforcer son soutien à Kiev par un «engagement financier pluriannuel», sans toutefois donner d’autres informations sur des chiffres, et autres, écrit «Il Giornale».

Le Danemark rejoint aujourd’hui le club des «oui» : Copenhague se déclare favorable à l’utilisation des F-16 qu’il fournit à l’Ukraine pour frapper des sites militaires russes de l’autre côté de la frontière ukrainienne. «Cette position n’est pas nouvelle : cela était déjà clair lorsque nous avons discuté du don au sein de la commission des affaires étrangères du Parlement danois. Nous avons dit que cela faisait partie de la légitime défense qui consistait à attaquer éventuellement des installations militaires sur le territoire des agresseurs», a déclaré le ministre danois des Affaires étrangères, Lokke Rasmussen, en marge du Conseil du Commerce. «L’Ukraine peut utiliser ce que nous avons donné, même au-delà de ses frontières, c’est-à-dire pour des objectifs en Russie, si cela est conforme au droit international», a également ajouté la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, soulignant que les partenaires de l’Ukraine devraient faire davantage d’efforts pour renforcer le système de défense aérienne du pays, saluant la décision de l’Allemagne de fournir le système Patriot. Selon Frederiksen, les autres pays devraient faire de même et l’Europe devrait fournir davantage de systèmes et de missiles à l’Ukraine.

Mais c’est hier que le consortium d’assentiment de Sunak, Macron, Scholz et Tusk, complété par la Finlande et le Canada, a renversé, du moins la perspective d’une guerre. L’Italie, l’Espagne et la Belgique restent opposés. Il ne s’agit plus d’un fossé entre faucons et colombes : l’OTAN, comme l’Europe, est désormais divisée sur la question de savoir s’il faut ou non se montrer plus ferme à l’égard de Vladimir Poutine. Il s’agit non seulement d’un changement radical entre la défense et l’offensive, mais d’une réelle possibilité de guerre ouverte. Le tabou qui s’effondre en ces heures est en fait celui de voir les armes de l’OTAN frapper le territoire russe et non seulement les Russes occupant l’Ukraine. Et comme la guerre en Ukraine pourrait malheureusement n’être que le premier des cas qui rapprochent la guerre de si près de l’Europe, il convient de s’interroger quels effets de ces fronts auront sur l’avenir de l’Alliance.

A cela s’ajoutent deux rendez-vous à venir : les élections européennes et celles du prochain secrétaire général de l’OTAN. À l’exception de Sunak, les partisans du «oui» sont tous impliqués dans le tour électoral de l’Union, avec d’importantes conséquences pratiques sur la politique intérieure. Cela constitue aussi une preuve de l’autonomie européenne face à un Washington encore hésitant. Au cours de «l’année la plus électorale de l’histoire», l’Europe se rendra aux urnes près de cinq mois avant les États-Unis. Les prévisions, on le sait, avaient enregistré un recul de la soi-disant «majorité Ursula» (PP, S&D, RE) au profit de formations de droite, eurosceptiques et indépendantes. Cela avait déjà mis en évidence, depuis des mois, la nécessité d’une majorité solide et proactive, capable également de résister à l’éventuelle réélection de Donald Trump, qui fermerait les «robinets» du soutien américain à Kiev, même d’un point de vue existentiel. En fait, si le magnat revenait à la Maison Blanche, il est facile d’imaginer que les relations avec l’Europe, et avec les pays de l’OTAN en général, changeraient brusquement.

Si la course vers un certain degré d’autonomie stratégique européenne est facile à comprendre, le ton enflammé de Stoltenberg l’est moins, faisant oublier l’époque de la prétendue «mort cérébrale de l’OTAN». Le secrétaire de l’OTAN semble devenir «plus politique» qu’avant, à tel point qu’il apparaît comme un disque rayé. Cette liberté d’action pourrait aussi s’expliquer par la plus banale des raisons : Stoltenberg n’a plus rien à perdre dans les derniers mois de son mandat. L’éligible Mark Rutte mais aussi le président roumain Klaus Iohannis aspirent à son trône. Il est difficile de prédire quand une convergence sur un nom sera réalisée. «Nous voyons que les Russes peuvent se tenir du côté russe de la frontière avec une vision qui est plus ou moins la même que celle de la ligne de front. Ils peuvent être là avec leur artillerie, leurs lance-missiles et leurs avions pour les munitions et le carburant, plus en sécurité que s’ils étaient attaqués avec les armes les plus avancées dont dispose (ra) l’Ukraine. Je pense donc que le moment est venu d’envisager certaines de ces restrictions pour permettre aux Ukrainiens de se défendre réellement», a réitéré Stoltenberg aujourd’hui, à l’ouverture de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Prague. Pour le secrétaire, en effet, il ne s’agit pas d’un véritable changement de perspective puisque le droit de légitime défense inclut également la possibilité de frapper des objectifs militaires, des objectifs légitimes en dehors de l’Ukraine, des cibles importantes, comme par exemple à la frontière avec le territoire russe.

Alors que d’une part, tout cela provoque des réactions russes prévisibles, Dimitry Peskov qualifiant tout cela de provocations visant à poursuivre la «guerre insensée», de l’autre, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, dans une interview accordée à l’agence de presse «Ria Novosti», déclare franchement comment l’Occident a le conflit entre ses mains, ainsi que la possibilité d’accélérer la solution diplomatique. «Pour ce faire, il est nécessaire que l’Occident cesse de fournir des armes à l’Ukraine et que Kiev cesse de se battre. Plus tôt nous aurons une solution politique». Et ce faisant, il laisse entrevoir un rôle de négociateur pour Pékin : la Chine, selon lui, pourrait organiser une conférence de paix à laquelle pourraient participer la Russie et l’Ukraine. Lavorv a ensuite réaffirmé que Moscou était ouvert aux négociations, «mais nous parlons de paix et non de trêve».

Alors que Washington se cache derrière mille hésitations et une campagne électorale aussi lourde qu’un rocher, l’Europe semble s’être tournée vers une nouvelle phase, mais dans le désordre. Bientôt, la chronique pourrait nous annoncer des informations sur des attaques en Russie bien au-delà de Moscou ou de Belgorod. Seule l’histoire le dira si l’Alliance a de nouveau relevé la tête ou si elle est tombée dans un gigantesque piège.