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Washington et Pékin sont en concurrence au Moyen-Orient, mais l’énigme est Mohammed Bin Salman

(Rome, Paris, 24 mai 2024). Les priorités des États-Unis et de la Chine au Moyen-Orient sont contradictoires. S’il est vrai que les deux puissances mondiales souhaitent faire de la région une oasis de paix et de stabilité, ou du moins un environnement profitable à leurs agendas politiques et économiques respectifs, il est vrai aussi que les moyens proposés par les deux parties pour atteindre cet objectifs diffèrent, et pas qu’un peu.

D’une part, nous avons Washington, qui, jusqu’à présent, a tenté de renforcer ses liens avec Israël et les monarchies du Golfe, de manière à amorcer un dégel progressif entre Tel-Aviv et Riyad. De l’autre, il y a Pékin, qui mise tout sur la médiation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, et mise sur la relation renouvelée entre Xi Jinping et Mohammed bin Salman, expliquent Federico Giuliani et Mauro Indelicato dans le quotidien «Inside Over».

Lorsque la tension entre Tel-Aviv et Téhéran a atteint sa limite en avril dernier, les responsables chinois ont immédiatement pris leur téléphone pour contacter leurs homologues saoudiens et iraniens. La raison d’un tel intérêt ? Vérifier si les étincelles israélo-iraniennes avaient réussi d’une manière ou d’une autre à saper l’un des principaux succès diplomatiques du Dragon : le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Il est cependant difficile pour Pékin de dresser un tableau régional, voire même d’imaginer les perspectives du Moyen-Orient à moyen terme, avec deux inconnues sur la table : un conflit – celui de la bande de Gaza – toujours en cours, et la possibilité que cette guerre pourrait s’étendre pour inclure activement d’autres pays.

Le «deus ex machina» du Moyen-Orient

La diplomatie chinoise suggère qu’il y a au moins deux projets en cours : le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, soutenu par Pékin, et la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël poursuivie par les États-Unis.

Quant à la Chine, le Dragon s’appuie sur un partenariat étroit avec Téhéran qui, à terme (et compte tenu des vastes ressources énergétiques de l’Iran) pourrait s’avérer être un pari gagnant. Dans le même temps, le gouvernement chinois a mis au second plan ses visées stratégiques sur les Émirats arabes unis et le Qatar, qui sont entrés dans l’orbite américaine, tout comme Israël (hormis les frictions autour de Gaza).

Les projecteurs sont donc braqués sur l’Arabie Saoudite, possible «deus ex machina» du Moyen-Orient et seul véritable acteur/spéculateur. Riyad, va soit céder aux flatteries de Xi, soit accepter de s’asseoir à la table des négociations avec les États-Unis (avec lesquels il entretient des liens étroits en matière de défense).

Il y a au moins deux indices à ne pas sous-estimer : 1) comme c’est le cas avec l’Iran, la Chine est de loin le plus grand marché d’exportation des Saoudiens ; 2) lorsqu’Israël a frappé l’ambassade iranienne à Damas, l’Arabie Saoudite a publiquement condamné l’attaque. Après la riposte iranienne, le Royaume s’est limité à exprimer son inquiétude face à l’escalade, appelant à la modération. Dans les deux cas, la position de MBS coïncide avec celle de Xi. Et elle est très éloignée de la position américaine qui soutient Israël.

La base d’Al-Oudeïd au Qatar

Si Pékin regarde avec un extrême intérêt l’Arabie Saoudite, les États-Unis, ainsi que Riyad, se concentrent fortement sur Doha. La raison est simple : le Qatar est situé au centre du golfe Persique, ses eaux sont partagées avec l’Iran et donc le positionnement géographique du petit émirat apparaît intrinsèquement stratégique.

Ce n’est certainement pas un hasard si la base d’Al-Oudeïd est située depuis des années dans le sud de la péninsule qatarienne. Il s’agit de l’un des avant-postes militaires les plus importants des États-Unis, récemment complété par des travaux liés à des projets d’agrandissement ultérieur de cette structure. C’est ici est basé, entre autres, Centcom, le commandement central américain au Moyen-Orient : il n’y a pas d’autre choix que de passer par les bureaux de la grande base située au sud de Doha.

Une circonstance destinée à lier indéfiniment le Qatar aux États-Unis. La (pétro) monarchie gouvernée par la famille Al Thani est un pion fondamental pour Washington au Moyen-Orient. En témoigne l’intensification des échanges commerciaux surtout après 2021, année de la fin de l’embargo imposé par les Saoud contre Doha dans le cadre du conflit politique entièrement intra-péninsulaire arabique.

En outre, cette année-là, l’actuel président Joe Biden est arrivé à la Maison Blanche et a entamé une politique différente de celle de son prédécesseur Donald Trump. Ce dernier, au cours de ses quatre années d’administration, s’est surtout concentré sur l’Arabie Saoudite en vue d’un rapprochement entre les acteurs du Golfe et Israël.

Joe Biden s’est efforcé de donner à Doha une importance croissante et de faire de l’émirat un médiateur fondamental dans les équilibres de la région. La démonstration la plus concrète vient des événements récents et dramatiques liés à la guerre entre le Hamas et Israël. Depuis le début de cette crise, déclenchée par les attaques terroristes du 7 octobre 2023, le Qatar a commencé à jouer le rôle de médiateur entre les parties et donc un rôle important dans les activités diplomatiques américaines dans la région.

De manière générale, il est possible d’observer que ces dernières années, bien que les Saoudiens aient conservé leur rôle de principaux alliés de Washington au Moyen-Orient, la Maison Blanche s’est de plus en plus rapprochée du Qatar et a commencé à considérer les Al Thani comme un partenaire (et un pion) très utile, en vue de la lutte régionale, acharnée, avec Pékin.

Le rôle politique des Émirats

L’autre pion des États-Unis est sans conteste Abou Dhabi, déjà pierre angulaire de la stratégie visant à rapprocher les pays du Golfe d’Israël sous l’administration Trump. En termes de duel avec la Chine, les Émirats arabes unis apparaissent plus proches de Washington que de Pékin. Par ailleurs, les relations entre les partis restent très solides, non seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan économique.

Cependant, le cas émirati est emblématique de la situation régionale actuelle : il n’existe pas de blocs parfaitement opposés. Abou Dhabi entretient, certes, des liens solides avec la Maison Blanche, mais développe depuis des années des relations importantes avec la Chine elle-même. Même dans des domaines assez délicats comme, entre autres, le domaine militaire. En Libye, par exemple, les drones tirés par les Émirats sur le général Khalifa Haftar portent le logo et le drapeau chinois.

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