(Rome, Paris, 1er mars 2024). La cérémonie a eu lieu dans l’église de l’Icône de Notre-Dame, à Moscou. Le Kremlin : « Rien à dire à la famille de Navalny ». Des menaces proférées contre ceux qui participent à des « réunions illégales ». Les accusations des collaborateurs : « Problèmes d’Internet et pressions pour réduire le rituel ». Une vague d’arrestations à travers le pays
Après des jours d’épreuve, des appels sincères de sa famille et d’accusations de violations de la part des autorités russes, Alexeï Navalny a finalement été enterré. Vendredi 1er mars, proches et partisans de l’opposant de Vladimir Poutine, décédé en prison le 16 février, ont pu assister aux funérailles dans l’église de l’Icône Notre-Dame, dans le quartier Marino à Moscou. Le cercueil a ensuite été enterré au cimetière de Borisovskoye, et l’orchestre jouait «My Way» de Frank Sinatra, rapporte «Il Giornale».
Déjà trois heures avant le début de la cérémonie, des milliers de personnes s’étaient rassemblées devant l’édifice religieux pour rendre un dernier hommage à celui qui a lutté pendant des années contre le régime du Kremlin. A l’arrivée du cercueil, ils ont applaudi en criant «Navalny, Navalny» et «il n’avait pas peur et nous n’avons pas peur !», ont encore lancé les sympathisants de Navalny, l’un des slogans du dissident, malgré un important dispositif policier dans la zone. «Nous ne pardonnerons pas !», ont-ils aussi crié. Et les Moscovites sont venus par milliers, des fleurs à la main, pour un dernier adieu, qu’ils élevaient en l’air ou jetaient le long du chemin emprunté par le corps jusqu’au cimetière. Étaient également présents dans la foule les deux candidats «pacifistes» Boris Nadejdine et Ekaterina Duntsova, exclus des élections présidentielles, ainsi que plusieurs diplomates et ambassadeurs étrangers, dont des représentants de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de l’Union européenne et des États-Unis. Sa veuve Yulia n’a pas pu assister à la cérémonie, étant hors de Russie, et a confié la mémoire de son mari aux réseaux sociaux : « Merci pour 26 ans de bonheur absolu. Oui, même pour ces 3 dernières années de bonheur. Pour l’amour, pour m’avoir toujours soutenue, pour m’avoir fait rire même depuis la prison, pour le fait que tu as toujours pensé à moi. Je ne sais pas comment vivre sans toi, mais j’essaierai de te rendre, là-haut, heureux pour moi et fier de moi ».
La porte-parole de Navalny, Kira Yarmysh, a remercié sur la chaîne YouTube ouverte pour l’occasion, tous ceux qui se sont rendus à l’église, soulignant que ceux qui ont apporté leur soutien doivent se préparer à «des temps plus durs et des luttes plus importantes. Nous ne pouvons donc absolument pas abandonner». L’ancien bras droit du dissident Leonid Volkov a déclaré que le Fonds anti-corruption, créé par Navalny lui-même, offrirait une récompense de 100 mille euros à quiconque fournirait des informations sur les circonstances de sa mort. «Nous irons au fond des choses, nous découvrirons tout, quoi qu’il en coûte. Et nous nous vengerons», a-t-il déclaré.
Pour leur part, les autorités russes n’ont pas agi activement pour empêcher les funérailles, mais leur pression s’est néanmoins fait sentir. Dans la matinée, les responsables de la morgue ont retardé la livraison du corps et les collaborateurs de Navalny ont eu toutes les peines à trouver un corbillard, car «tous les chauffeurs reçoivent des menaces anonymes de ne pas transporter le corps». La police a également bouclé le secteur de l’église et patrouillé en permanence, procédant à des arrestations. L’association Ovd-info, qui surveille la répression politique dans la Fédération, a rapporté que 22 personnes ont été empêchées de quitter leur domicile pour se rendre à la cérémonie, tandis que sept autres ont été arrêtées à Voronej, une ville située à 500 kilomètres au sud de Moscou, alors qu’elles s’apprêtaient à partir pour la capitale. Dix-sept autres citoyens russes se sont retrouvés menottés à Novossibirsk. Au total, 56 personnes ont été arrêtées dans 13 centres urbains. Le porte-parole du tsar, Dmitri Peskov, a également déclaré que «le Kremlin n’a rien à dire à la famille de Navalny le jour de ses funérailles», soulignant que tout rassemblement illégal en sa mémoire serait puni conformément à la loi. Selon des témoins présents sur place, la foule massée devant l’église a fait tomber les barrières à l’issue de la cérémonie pour suivre le cortège d’Alexeï Navalny.
Les collaborateurs de Navalny ont également signalé des problèmes de connexion Internet dans le quartier de l’église, ce qui a rendu difficile la retransmission en direct des funérailles. La chaine CNN a également rapporté que le flux vidéo de son équipe couvrant l’événement semblait être bloqué. Leonid Volkov a également expliqué que le rite avait été raccourci par des ordres venus d’en haut. «Ils ont fait pression sur le curé de l’église, le père Anatoly Rodionov, et ont exigé que le service funéraire ait lieu le plus rapidement possible afin que personne n’arrive», a-t-il déclaré, citant l’ancien rédacteur en chef du magazine du Patriarcat de Moscou, Sergueï Chapnine, selon lequel ce sont précisément les dirigeants de l’Église orthodoxe russe, alignés sur Poutine, qui ont ordonné que «tout soit écourté autant que possible». Comme le veut la coutume orthodoxe, le corps de l’opposant a été exposé durant la cérémonie à Moscou.