(Rome, Paris, 27 février 2024). Lorsqu’un remaniement s’impose au sein de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), une figure, souvent éclipsée dans la sphère politique de Cisjordanie, apparaît : celle du Premier ministre. Il est formellement le chef du gouvernement palestinien, mais en réalité, son influence est bien moindre que celle du président (qui est déjà très faible).
Ces dernières heures, écrit Mauro Indelicato dans «Inside Over», quelque chose semble bouger. Le Premier ministre sortant, Mohammed Shtayyeh, a présenté sa démission et le président de l’ANP, Mahmoud Abbas (Abou Mazen), l’a acceptée mettant fin à son mandat. Une démarche, à en juger par les propos tenus par Shtayyeh, qui pourrait marquer un tournant au sein de l’ANP et anticiper une réforme de l’autonomie palestinienne réclamée par plusieurs États de la région.
Ce que pourrait signifier la démission du Premier ministre
La fonction de Premier ministre n’était pas prévue dans les accords d’Oslo de 1993, où les Israéliens et les Palestiniens ont entériné la naissance de l’ANP. Ce n’est qu’en mars 2003 que la figure du chef du gouvernement a été introduite dans le statut de l’organisme autonome. À cette époque, non seulement la deuxième Intifada était toujours en cours, mais elle avait également atteint son paroxysme de violence. Le gouvernement israélien du général Ariel Sharon ne voyait pas le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat (Abou Ammar, l’homme qui a détruit le Liban et mis hors d’état de nuire en 1982 par le général Ariel Sharon, Ndlr), un interlocuteur fiable pour calmer les troubles.
Grâce à la médiation des États-Unis et de l’Égypte, un accord a donc été trouvé pour la création du poste de Premier ministre au sein de l’ANP. Une manière de trouver, notamment au niveau international, une figure de connexion politique et diplomatique avec l’exécutif palestinien et de donner ainsi à Israël un nouvel interlocuteur. L’actuel président Abou Mazen a, pour la première fois, assumé le rôle de Premier ministre. Son mandat a été de courte durée : déjà en septembre à Ramallah, siège de l’ANP, un remaniement gouvernemental est décidé.
L’introduction de la figure du Premier ministre n’a pas eu un grand impact ni sur l’administration des territoires ni évidemment sur le processus de paix. Cependant, chaque fois qu’une nouvelle se profile à l’horizon, les premiers signes viennent directement du bureau du Premier ministre. Ce fut précisément le cas lors de la mission confiée à Abou Mazen en 2003, lorsqu’il fallut ouvrir une fenêtre d’opportunité pour une médiation avec l’exécutif de Sharon. Il en a été de même en mars 2006, lorsque, en tant que président de l’ANP et successeur d’Arafat, Mahmoud Abbas a confié le mandat à l’actuel leader politique du Hamas, Ismail Haniyé. A cette occasion, la reconnaissance de la victoire du mouvement islamiste aux élections législatives, les dernières organisées pour le renouvellement des dirigeants palestiniens, a été entérinée.
Les paroles de Mohammed Shtayyeh
La démission annoncée par Shtayyeh pourrait donc ouvrir des opportunités. Dans sa lettre annonçant sa démission, le désormais ex-Premier ministre palestinien parlait précisément de la possibilité d’une réforme de l’ANP. « Je pense, que la prochaine phase nécessite une réorganisation gouvernementale et politique qui prenne en considération la nouvelle réalité dans la bande de Gaza, des pourparlers d’unité nationale et de la nécessité de parvenir à un consensus inter-palestinien basé sur des fondements nationaux, une large participation, l’union des rangs et l’extension du pouvoir de l’autorité de l’ANP sur l’ensemble du territoire », peut-on lire dans la missive publiée par l’agence officielle Wafa.
Des propos qui semblent aller dans le sens de ce qu’espèrent de nombreux acteurs régionaux et internationaux qui, dans les différentes enceintes diplomatiques, ont souligné ces derniers mois l’impuissance de l’ANP et son emprise limitée sur le territoire de la Cisjordanie. Ces acteurs, Washington en tête, ont poussé le régime de Ramallah, très impopulaire auprès des Palestiniens, à entreprendre des réformes en vue de l’après-guerre à Gaza.
Le départ de Shtayyeh pourrait laisser présager la formation d’un gouvernement d’union nationale et la convocation de nouvelles élections. Tout cela pour donner un nouvel élan et un nouveau souffle à une autorité palestinienne qui est loin d’être partie prenante dans la guerre en cours à Gaza.
Sur le plan local, des cadres du Fatah se sont rencontrés au Qatar (…). Le chef de l’ANP s’est inquiété de ces manœuvres qui semblaient destinées à le court-circuiter.
Ce n’est pas un hasard si le Premier ministre démissionnaire a évoqué précisément « la nouvelle réalité » dans la bande de Gaza. Immédiatement après le déclenchement du conflit d’octobre entre le Hamas et Israël, les États-Unis ont proposé de ramener l’Autorité palestinienne à Gaza. Les autorités de Ramallah ont perdu leur emprise sur le territoire en 2007, suite à leur défaite lors du conflit interne avec le Hamas. La future réorganisation du gouvernement palestinien pourrait donc aussi être préparatoire à un scénario d’après-guerre sur lequel travaille la diplomatie internationale.
Il est trop tôt pour le dire, mais la démission de Shtayyeh n’est certainement pas le fruit du hasard. Et elle a eu pour premier effet de faire parler à nouveau de l’ANP, dont le leadership au niveau interne est également apparu faible depuis des années.