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Emmanuel Macron entre la Chine et l’Inde, tenant la carte de l’exceptionnalisme

(Rome, Paris, 29 janvier 2024). L’exceptionnalisme de Paris, entre Pékin et New Delhi. Emmanuel Macron entend gérer simultanément les relations avec la Chine et l’Inde, sans oublier les alliances occidentales, la souveraineté stratégique, l’engagement européen, la présence régionale dans l’Indo-Pacifique, l’Afrique et le Moyen-Orient

Ces derniers jours, le président français Emmanuel Macron a eu un double engagement diplomatique complexe. Il a dû préparer un message vidéo pour le 60e anniversaire de l’ouverture des relations entre la Chine et la France (tout comme son homologue Xi Jinping), alors qu’il se trouvait en Inde en tant que super invité des célébrations de la Fête de la République (invitation avec laquelle le Premier ministre Narendra Modi a rendu la pareille à celle reçu le 14 juillet dernier à Paris).

Ce qui se passe confirme l’exceptionnalisme français (et macronien). « L’élection de Macron à la présidence de la République française est un événement si singulier qu’il permet d’affirmer que nous sommes face à la naissance d’un « exceptionnalisme français » à juxtaposer au classique « exceptionnalisme américain » de la doctrine et de l’histoire constitutionnelle des démocraties modernes », expliquait en 2017 Angelo Maria Petroni, professeur titulaire de logique et de philosophie des sciences à l’Université Sapienza, écrit Emanuele Rossi dans «Formiche.net».

Cette position est en réalité exceptionnelle : l’Inde et la Chine sont des rivaux stratégiques et des piliers du développement de la région Indo-Pacifique, bien qu’ayant des visions du monde différentes et concurrentes (comme l’a également souligné hier lors de l’audition parlementaire de l’ambassadeur Sujan Chinoy). Une Région, l’Indo-Pacifique, dont la France se sent partie prenante, acteur non extérieur comme tous les autres Occidentaux (une autre exception) du fait des Territoires et Communautés d’Outre-Mer qui répondent à Paris. C’est aussi pourquoi Macron, tout en rappelant la bonne relation avec Pékin, peut se permettre de négocier avec aisance un accord de fourniture militaire de 10 milliards de dollars avec New Delhi, ainsi que la construction d’un Petit réacteur modulaire (un réacteur à fission nucléaire).

L’amitié franco-indienne

« L’Inde et la France ont toutes deux une très haute idée d’elles-mêmes, miroir de l’exceptionnalisme qui marque leur substrat anthropologique et leurs ambitions, elles-mêmes alimentées par la fluidité du cadre géopolitique mondial », a écrit cet été Lorenzo Di Muro, conseiller scientifique du Limes. Les deux pays se comprennent. « Le ‘dosti’ (amitié) entre l’Inde et la France est particulier. Ce n’est pas pour rien que les Français et Macron sont les « mitrons » (amis) les plus proches de l’Inde, écrit «India Today», soulignant combien l’étreinte physique entre les deux dirigeants a marqué aussi bien les images de juillet dernier que celles d’aujourd’hui. Le style de leadership de Modi, caractérisé par sa détermination et l’accent mis sur le développement économique, a trouvé un écho auprès de Macron, qui est cependant le sixième dirigeant français à avoir l’honneur d’être l’invité principal de l’Inde à l’occasion de la Fête de la République.

Il existe cependant de nombreux éléments qui différencient les relations entre l’Inde et la France des liens de New Delhi avec d’autres partenaires occidentaux proches, explique Michael Kugelman dans le « South Asia Brief » de Foreign Policy. Tous deux soutiennent l’autonomie stratégique et envisagent avec intérêt la multipolarité, ou du moins le multi-alignement, bien qu’avec des approches différentes. «L’autonomie stratégique de l’Inde est basée sur le renoncement aux alliances, tandis que la France embrasse les alliances mais les remet en question lorsque cela sert ses propres intérêts. L’insistance sur l’indépendance de la politique étrangère favorise les objectifs stratégiques communs. Paris, par exemple, vise à équilibrer la puissance des États-Unis et de la Chine dans la région Indo-Pacifique, ce que l’Inde soutient ».

Comme dans le cas des relations de l’Inde avec les autres membres du Quad (Australie, Japon et États-Unis) – que Modi avait tenté de réunir à New Delhi à l’occasion de la Fête de la République indienne – les liens avec la France se sont également renforcés à partir de convergences stratégiques sur la géopolitique en Asie. L’Inde et la France observent non sans inquiétude l’influence régionale croissante de la Chine. Il n’est pas surprenant, par exemple, que leurs intérêts stratégiques respectifs se rejoignent sur la nécessité d’un engagement plus profond avec les îles du Pacifique (où les deux pays ont des possessions et de l’influence) afin de contrebalancer la Chine.

Qu’est-ce qui lie Paris et Pékin ?

Et pourtant, Macron entretient également des relations avec Pékin, comme le révèle non seulement le ton des messages vidéo. La date est d’ailleurs pertinente : il y a soixante ans, le 27 janvier 1964, la France devenait l’un des premiers pays d’Europe occidentale à reconnaître la République populaire de Chine. Aujourd’hui encore, Paris entretient une vision exceptionnelle de la Chine, qu’au retour de sa visite à Pékin en avril dernier, le Président Macron avait mise en avant avec une emphase excessive, au point d’avoir créé un écho médiatique considérable, presque s’il voulait marquer une équidistance dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine, une ligne qui est pour le moins inhabituellement explicite pour un pays européen (et de l’OTAN), « un analphabétisme stratégique », a commenté Alessio Patalano, professeur de « War & Strategy » en Asie de l’Est au « Departement of War Studies » à « King’s Collège » de Londres.

Mais où en sont les relations franco-chinoises ? Bien qu’il existe dans l’esprit de nombreux commentateurs internationaux et chinois l’idée que la France est plus favorable à la Chine, une analyse de Léa Geburer et Leonardo Doni publiée récemment par le « ChinaMed Project » démontre que, même si Paris a une certaine volonté de coopérer avec la Chine dans le cadre de son objectif d’autonomie stratégique, cet anniversaire est davantage dominé par une hostilité croissante que par une collaboration, alors que les deux pays se retrouvent à l’avant-garde de la guerre commerciale croissante entre l’UE et la Chine.

« L’évolution des mentalités au sein des médias français met en évidence un sentiment croissant de méfiance à l’égard de Pékin. S’il est vrai que plusieurs analystes français reconnaissent la Chine comme un partenaire nécessaire pour traiter certaines questions internationales spécifiques, les préoccupations croissantes concernant le déficit commercial, la domination de la Chine dans le domaine des véhicules électriques et son implication en Afrique et au Moyen-Orient suscitent constamment l’appréhension de la presse.

En effet, en ce qui concerne la Chine en Méditerranée, l’hostilité croissante de la France à l’égard de l’engagement régional chinois est une perception concrète. « Il reste à voir si Paris jouera un rôle plus actif pour contrer l’expansion perçue de Pékin ou s’il collaborera plutôt avec la Chine pour tenter d’apporter la stabilité à cette région », écrivent les deux chercheurs. Ils ajoutent que le partenariat avec l’Inde est un élément supplémentaire de complexité dans ce tableau.

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