La réaction des Houthis et l’escalade: ce qui peut se produire après les raids au Yémen

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(Rome, Paris, 13 janvier 2024). Dans la nuit de jeudi à vendredi, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont mené une série de raids sur le territoire yéménite. L’objectif principal des missions étaient les bases des Houthis, nom sous lequel le groupe Ansar-Allah est généralement désigné. Il s’agit de miliciens chiites yéménites qui contrôlent la capitale Sanaa et la majeure partie du nord du Yémen depuis 2014. Avec le déclenchement de la guerre dans la bande de Gaza, les Houthis ont commencé à cibler les navires occidentaux transitant par la mer Rouge. Washington et Londres, craignant de nouvelles conséquences pour le commerce international, ont donc décidé de frapper, nous explique Mauro Indelicato dans les lignes du quotidien «Inside Over».

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Après la première vague de raids, suivie d’une deuxième nuit de raids entre le 12 et le 13 janvier, l’attente se fait de plus en plus grande pour comprendre quelles seront les prochaines actions de la coalition occidentale et celles des Houthis eux-mêmes. La principale crainte est liée à une escalade régionale. Et ce pour au moins trois raisons. D’abord parce que les combattants chiites (mandataires de Téhéran, Ndlr) vont probablement réagir et viser les pays voisins qui ont accordé l’espace aérien aux Américains et aux Britanniques. Deuxièmement, l’ouverture de médiations et de négociations est très difficile, plus encore que dans le contexte israélo-palestinien. Enfin, les Houthis agissent souvent indépendamment de leurs propres alliés et semblent moins prévisibles et donc potentiellement plus difficiles à arrêter.

La possible vengeance contre les Saoudiens et les Emiratis

Lorsqu’une attaque militaire américaine et britannique est apparue imminente jeudi soir, les forces de sécurité ont été placées en alerte à Riyad et à Abou Dhabi. Les deux monarchies commencent à craindre d’éventuelles réactions des Houthis. En cas d’escalade régionale, tout pourrait commencer par une riposte de représailles des combattants chiites contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Tout comme le Qatar lui-même, Doha ayant eu une position plus distante sur le dossier yéménite.

Aux yeux des Houthis, les États voisins sont responsables de l’octroi de l’espace aérien aux moyens de Washington et de Londres pour atteindre le Yémen et cibler les bases du groupe. D’où la possibilité d’un tir de missiles contre les territoires saoudiens et émiratis. Riyad et Abou Dhabi sont bien conscients des risques que représentent les attaques des Houthis. Durant la guerre qui, entre 2015 et 2023, a vu l’affrontement direct des forces saoudiennes et émiraties contre les miliciens chiites, les engins lancés depuis le Yémen ont causé bien plus d’un agacement.

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En Arabie Saoudite, les Patriotes ont souvent eu du mal à intercepter et à contenir les incursions de missiles des combattants yéménites. Dans certains cas, les engins ont touché des champs de pétrole et les usines d’Aramco, le géant pétrolier saoudien.

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A Abou Dhabi, des missiles ont à plusieurs reprises causé des dégâts à l’aéroport local, l’un des plus grands au monde. En outre, une éventuelle riposte des Houthis contre leurs voisins aurait une forte signification politique. En effet, la trêve signée ces derniers mois et qui a permis de geler le conflit éclaté il y a près de neuf ans serait interrompue. La réouverture du front yéménite pourrait remettre en cause de nombreux équilibres au sein de la péninsule arabique.

La voie très difficile de la médiation

Après un raid et après le début d’une attaque, le travail diplomatique visant à ouvrir des canaux de dialogue entre les parties entrées en contact est souvent activé. Au Yémen, cependant, le chemin de la diplomatie est décidément semé d’embûches. Sur ce front, la situation est bien plus complexe que ce que nous avons vu dans la bande de Gaza elle-même.

En effet, après les attaques du Hamas du 7 octobre, outre l’action militaire israélienne à Gaza, une médiation a été menée par le Qatar, notamment pour la libération des otages. Dans ce cas, on a donc trouvé un acteur, à savoir le gouvernement de Doha, qui a pu exploiter son poids sur l’une des deux parties belligérantes (le Hamas) et ses bonnes relations avec le principal allié de l’autre partie, à savoir les Etats-Unis.

Du côté yéménite, rares sont cependant ceux qui sont capables d’intervenir concrètement. La principale influence sur le groupe est en fait exercée par l’Iran, dont les relations avec Washington sont actuellement au plus bas. Le gouvernement de Téhéran n’est pas considéré comme un interlocuteur fiable par les États-Unis et la Grande-Bretagne, de sorte que l’ouverture d’une voie diplomatique est plutôt compliquée. En termes simples, le spectre d’une guerre par procuration est bien plus amplifié au Yémen qu’à Gaza. Le premier allié du groupe visé par les raids de vendredi soir est en fait aussi le premier adversaire de la coalition attaquante. Au Yémen, nous sommes plus proches d’une confrontation directe entre les États-Unis et l’Iran que d’une ouverture d’une table diplomatique.

Les Houthis sont, même aux yeux de Téhéran, imprévisibles

Mais même lorsque la diplomatie prend le dessus, il existe un troisième élément qui rend le dialogue très difficile et l’escalade très réelle. Il s’agit du mode d’action des Houthis. Le groupe a généralement toujours agi avec un large degré d’autonomie par rapport à l’Iran lui-même et cela, d’abord, pour une raison purement idéologique : les combattants yéménites sont en effet chiites, mais issus d’une branche autonome différente de celle de la théocratie iranienne. En particulier, les Houthis sont des enfants de l’idéologie zaydiste, considérée jusqu’il n’y a pas si longtemps comme hérétique par une grande partie du monde chiite lui-même.

Même pendant la guerre contre les Saoudiens, les miliciens yéménites contrairement aux ordres reçus de Téhéran ont tout de même développé des stratégies autonomes. L’Iran est donc le premier allié des Houthis en termes de financement et d’armement, mais la stratégie est souvent décidée directement par les dirigeants du groupe. Et c’est cette autonomie qui rend les combattants plus imprévisibles et donc potentiellement plus dangereux.