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La Dollarisation intégrale officielle est la clé de sortie de la crise multidimensionnelle au Liban

(Rome, 24.12.2023). Exclusif. Depuis 2019, le Liban connait un écroulement de son économie marqué par la multi-dimensionnalité budgétaire-monétaire-bancaire. Le volet approfondi par cet article concerne la crise des liquidités notamment en devises étrangères dans une économie fortement importatrice et fortement dollarisée, où la dollarisation partielle et non officielle depuis la crise des années quatre-vingt a rendu inefficace toute stabilisation basée sur la masse monétaire et a mené au régime actuel d’ancrage du taux de change.

Lors d’un webinar international organisé en mars 2023 par le «Laboratoire d’Economie Finance Management et Innovation» (LEFMI), UR 4286 UPJV en collaboration avec le Séminaire interdisciplinaire d’histoire économique (SIHE) comme conférence internationale à deux voix, Professeur Jean-François PONSOT (de l’Université Grenoble des Alpes) et moi-même comme Professeure associée à l’Université Saint Joseph de Beyrouth, avons présenté un papier montrant les alternatives à la chute du régime d’ancrage du taux de change au Liban (soft Peg LBP/USD) soulignant la priorité du passage au régime de Hard Peg (Currency Board or Full Official Dollarization). Nous avions même prévu que la Bimonetarisation (Dual currency) qui règne sur le marché libanais conduirait à une dollarisation rampante aboutissant à une Dollarisation quasi intégrale officieuse lorsque le taux de change serait aux alentours de 100.000 LBP/USD avec une possibilité des lors de ponctionner toute la liquidité en LBP sur le marché et de couvrir la Base Monétaire avec près de 5 milliards USD à condition de l’accompagner d’un contrôle de capitaux pour limiter la tendance de retraits de l’ensemble des dépôts convertis en « Dollars frais/Fresh USD) au taux de référence qui sera retenu après un flottement libre du taux de change pour au moins un mois. Ceci constitue une étape stratégique du mécanisme de Hausmann (de l’Université Harvard) qui publie récemment une étude détaillée avec plusieurs économistes chercheurs du Laboratoire de Harvard aboutissant aux mêmes résultats de nos études préalables sur l’irréversibilité de la Dollarisation au Liban. Sachant que cette irréversibilité de la Dollarisation au Liban était déjà prévue dans une publication du FMI de Muller (1994).

L’économie libanaise cherchait à réaliser en même temps les trois piliers du triangle des incompatibilités : à travers une mobilité parfaite de capitaux, une fixité du taux de change et une annonce d’indépendance de la politique monétaire de la Banque Centrale qui était impossible en pratique vu d’une part le recours continu des autorités publiques au financement de la Banque Centrale (que ce soit par avances directes ou par achat de Bons du Trésor et Eurobonds par la BDL) et vu d’autre part la contrainte de dollarisation qui exigeait de la Banque Centrale l’adoption d’un régime d’ancrage du taux de change qui nécessitait son intervention continue sur le marché de change en puisant dans ses réserves en devises étrangères exigeant d’avoir un excèdent continu de la Banque des paiements pour pouvoir les renflouer…

En effet, jusqu’avant la guerre de 1975-1990 au Liban, à la fin de l’année 1974, les dépôts en devises (823 millions de dollars USD) ne dépassaient pas 18 % de la masse monétaire totale du pays et étaient nettement inférieurs aux avoirs extérieurs en devises du système bancaire (2,11 milliards de dollars). Ce qui veut dire que la plus grande partie des devises étrangères qui rentraient au Liban étaient transformées en livres libanaises (LBP), entraînant l’appréciation de la monnaie nationale.

À partir du déclenchement de la guerre civile en 1975, les conversions des USD en LBP ont progressivement diminué pour finir par s’inverser avec le déclenchement du processus de dollarisation non officielle partielle résultant du choix libre du secteur privé suite à la forte dégradation du pouvoir d’achat de la monnaie nationale. Durant la crise monétaire des années quatre-vingt, surtout avec l’hyperinflation de 1987 suivie par la forte dépréciation de la LBP vis-à-vis de l’USD dont l’apogée a été atteinte en 1992. L’accroissement des dépôts en devises a suivi approximativement l’excédent de la balance des paiements pour atteindre, fin 1992, 63% de la masse monétaire totale. Durant cette période, l’USD commençait à remplacer la LBP par ses trois fonctions : unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur. Le taux de change qui était avant la guerre de 3 LBP/USD passe à plus de 2.850 LBP/USD fin 1992.

A partir de 1993, le Liban abandonne le régime de flottement libre du taux de change (Free floating exchange rate regime) pour adopter un régime d’ancrage glissant (crawling peg) de 1993 à 1997 permettant de réduire graduellement le taux de change jusqu’à l’application du régime d’ancrage conventionnel du taux de change (conventional peg to one currency) liant la LBP au USD au taux de 1501-1514 avec taux médian de 1507.5 à partir de 1997.

Parallèlement, depuis 1993 l’écart de croissance entre les dépôts en devises et les avoirs extérieurs du système bancaire commence à se creuser progressivement. Dans une tentative de retrouver la confiance en la LBP, la BDL entreprend alors une politique de la stabilisation de sa valeur, mais qui a eu pour effet pervers de généraliser l’utilisation du dollar dans les paiements internes surtout après la création d’une chambre de compensation des chèques en USD et la permission de remplir des machines de distributeurs automatiques (ATM) par les billets en USD. La monnaie-devise assure alors la troisième fonction de toute monnaie qui est d’être un instrument d’échange. Cette tendance s’accentue avec la fixation du taux de change à 1507,5 LL à partir de fin 1997. Dès lors, les paiements en dollars se font non seulement au moyen de cartes de paiement ou des chèques tirés sur les dépôts, mais aussi au moyen de billets de banque. En plus des opérations de conversion automatique de la LBP en USD, l’utilisation de la monnaie-devise comme instrument de paiement a développé l’octroi par les banques au secteur privé de crédits libellés en USD pour le marché interne, qui sont à leur tour sources de création monétaire par «multiplicateur du crédit»…

Cette situation se maintenait tant que la balance des paiements était excédentaire, c’est-à-dire jusqu’en 2011, à partir de laquelle la balance des paiements commence à enregistrer un cumul de déficits (sauf en 2016 et 2017 en raison des «Ingénieries financiers» qui ont permis d’attirer des capitaux en USD de l’étranger pour les investir en eurobonds et certificats de dépôts en USD à la BDL).

A partir de 2011, l’écart se creuse de manière accentuée comme un « effet d’entonnoir » entre les dépôts en USD qui augmentaient à un rythme accéléré et les avoirs extérieurs du système bancaire qui commençaient à reculer réduisant graduellement la capacité de satisfaire toutes les demandes de retrait des dépôts des clients en devises étrangères en 2019, ce qui a mis en lumière l’écroulement du système 2019, sachant que la BDL ne peut pas imprimer des dollars pour alimenter les banques et ses réserves en devises commençaient à s’épuiser (du fait de l’intervention continue sur le marché de change pour préserver l’ancrage du taux de change, de son implication dans le financement de l’Etat que ce soit par les eurobonds ou le financement continu de l’achat de fuel pour l’électricité ou pour assurer les dollars pour les différentes importations au taux de change officiel.

Reste à dire que les expériences empiriques de passage au «Hard peg» (dollarisation intégrale en Equateur, caisse d’émission en Bulgarie…) se font lorsque les réserves en devises de la Banque Centrale ne suffisaient plus pour couvrir que 6 mois d’importations… Actuellement, la BDL annonce que les réserves en devises restantes dans son bilan ne dépassent plus 9 milliards USD, ce qui équivaut exactement à 6 mois d’importations… La dollarisation est déjà devenue quasi intégrale de manière officieuse, il ne reste qu’à la reconnaitre officiellement.

*Professeure Siham RIZKALLAH (Prof à l’Université Saint Joseph-Faculté des Scientifiques)
Pour plus d’infos sur ce sujet voir mes liens :

  • Mon interview au journal français Les Echos:

https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-dollar-sest-impose-comme-monnaie-dechange-au-liban-1967083

  • Mon interview to The National News

https://www.thenationalnews.com/mena/lebanon/2023/10/31/lebanese-currency-holds-firm-with-the-threat-of-war-looming/

  • My interview to L’Orient Today

https://today.lorientlejour.com/article/1355397/why-has-the-lira-remained-stable-despite-the-al-aqsa-food.html

  • Mon article scientifique dans la Revue Internationale des Économistes de Langue Française: L’indépendance de la BDL et les déterminants de la crise économique au Liban.

Siham Rizkallah (2022)

  • Revue internationale des économistes de langue française – RIELF

https://rielf.aielf.org/wp-content/uploads/2023/02/RIELF-2-2022-ibuk-calosc.pdf

  • Mon interview au journal Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-etonnant-boom-touristique-dans-un-liban-exsangue-20230908

  • Mon article dans la Revue de la Défense Nationale:

https://www.lebarmy.gov.lb/fr/content/quelles-alternatives-%3F-l%E2%80%99ancrage-nominal-du-taux-de-change-avec-dollarisation-partielle-au

  • My interview to The National News

https://www.thenationalnews.com/mena/lebanon/2023/09/11/lebanons-2024-budget-plan-criticised-over-lack-of-vision/?fbclid=IwAR3-1uJycX4sDWUwlIGhsD9xrKB2sff3JJvaCdGtVHBUFCAn5ew3OT_zua8

  • Mon article à L’Orient Le Jour

https://today.lorientlejour.com/article/1334352/would-lebanon-gain-by-abandoning-the-lira.html

  • My interview to The National News

https://www.thenationalnews.com/mena/lebanon/2023/03/14/is-there-life-after-the-lebanese-lira/

  • Mon interview au journal français.Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/liban-la-dollarisation-a-marche-forcee-d-un-pays-en-faillite-20230310

https://www.lebarmy.gov.lb/fr/content/les-d%C3%A9terminants-de-la-crise-%C3%A9conomique-actuelle-au-liban

  • Mon interview à The National News

https://www.thenationalnews.com/mena/2023/08/07/lebanons-central-bank-to-pull-the-plug-on-state-funding/

  • My interview to Lebanon Today

Where do the dollars circulating in Lebanon come from ?
An estimated sum of $4 to $5 billion is circulating in the Lebanese market, creating a surplus of dollars. What is truly happening? https://today.lorientlejour.com/article/1342513

  • Mon interview à l’Orient le Jour

https://www.lorientlejour.com/article/1341973/toujours-precieux-mais-moins-rares-dou-viennent-les-dollars-qui-circulent-au-liban-.html

  • Mon article a la Défense Nationale

https://www.lebarmy.gov.lb/fr/content/l%E2%80%99ind%C3%A9pendance-de-la-banque-centrale-et-les-pmnc-le-cas-du-liban

  • My interview to L’Orient Today

https://today.lorientlejour.com/article/1334352/would-lebanon-gain-by-abandoning-the-lira.html

  • Mon article a la revue de la Défense Nationale

https://www.lebarmy.gov.lb/fr/content/l%E2%80%99hyperinflation-r%C3%A9p%C3%A9t%C3%A9e-au-liban-quelle-le%C3%A7ons-mon%C3%A9taires

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