(Rome, Paris, 28.10.2023). Le Washington Post rapporte que le Qatar réexaminera ses liens avec le Hamas une fois la crise des otages terminée. Sommes-nous à la fin de la politique du pompier pyromane ?
« Avec le Hamas, plus rien ne sera jamais comme avant ». Tels sont les mots prononcés publiquement par le secrétaire d’État américain Antony Blinken quelques jours après les attentats du 7 octobre. Plus surprenant que le message, est le lieu, au Qatar, où le représentant de Joe Biden pour la politique étrangère a fait sa déclaration. Doha entretient en effet des relations étroites avec le mouvement islamiste et ce n’est pas un hasard s’il s’agit d’un carrefour fondamental pour les négociations sur le sort des 229 otages cachés quelque part dans la bande de Gaza. Comme le révèle en ces heures le Washington Post, lors de sa rencontre du 13 octobre avec Blinken, l’émir Tamim ben Hamad al-Thani a accepté de reconsidérer la présence du Hamas sur son territoire à l’issue de la crise dans la région, écrit Valerio Chiapparino dans le quotidien «Il Giornale».
Le journal américain n’est pas en mesure de préciser si la révision de la collaboration entre le Hamas et le Qatar se traduira par un exil total des militants islamistes. Le petit, mais puissant, pays du Golfe Persique, en plus d’être un grand allié des États-Unis, abrite la direction politique de l’organisation qui, en 2007, après une brève guerre civile avec le Fatah, a pris le contrôle de la bande de Gaza. C’est à Doha qu’Ismail Haniyé, le chef suprême du mouvement, et Khaled Mechaal, qui a échappé à une tentative d’assassinat par Israël en 1997, ont également trouvé refuge. « Si les dirigeants du Hamas quittent le Qatar, ils iront probablement en Iran, en Syrie, au Liban ou en Algérie », explique Bruce Riedel, expert du Moyen-Orient et ancien agent de la CIA.
Les commandants militaires de l’organisation sunnite engagée dans la bande de Gaza accusent souvent les représentants politiques de mener la lutte contre l’État hébreu dans le confort des hôtels de luxe du Qatar. Ces derniers jours, Haniyé a tenté de redorer son image de leader en publiant une vidéo dans laquelle il déclare que « nous avons besoin du sang des femmes, des enfants et des personnes âgées pour réveiller l’esprit révolutionnaire ».
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Le Qatar, une puissance économique qui possède l’un des plus grands gisements de gaz et le quatrième revenu par habitant au monde, dispose d’une impressionnante réserve financière que Doha exploiterait manifestement dans les négociations sur les otages. L’émirat est en effet considéré comme le «distributeur automatique» du Hamas (il verse environ 30 millions d’euros par an au mouvement) et paie les salaires des fonctionnaires de la bande de Gaza. La menace de resserrer le porte-monnaie pourrait donc avoir joué un rôle, avec la contribution de l’Egypte, dans la libération des prisonniers israéliens de Gaza.
Pour les États-Unis, le Qatar est un interlocuteur clé car il permet un canal de communication avec le Hamas qui n’est pas possible avec l’Iran, leur véritable grand soutien. Washington considère Doha comme l’un de ses principaux alliés non membre de l’OTAN et la base d’al-Oudeïd abrite le siège de Centcom, la plus grande base américaine au Moyen-Orient.
L’émirat a servi dans le passé de point de contact pour des négociations secrètes entre les États-Unis, les talibans et Téhéran, et a apporté une contribution fondamentale à l’évacuation des soldats américains d’Afghanistan. Doha entretient également des relations avec Israël depuis des décennies, même lorsque les autres pays du Golfe s’opposaient à tout contact avec l’État hébreu. Pour les analystes, la stratégie de non-alignement poursuivie par le Qatar ne dépend pas de motivations religieuses particulières, mais de la volonté de ses dirigeants d’atteindre la position d’acteur stratégique et influent malgré la petite taille de l’émirat.
Une analyse publiée par le «Jerusalem Post» dénonce cependant que Doha, en soutenant le Hamas et en tentant désormais de favoriser la libération des otages, ne peut plus se permettre de jouer à la fois le rôle de pompier pyromane. La crise du Moyen-Orient constituera donc pour le Qatar un exercice d’équilibre diplomatique sans précédent sur un autre front également ; Lors de sa visite, Blinken a demandé à al-Thani de « baisser le volume » de la couverture médiatique consacrée à Gaza par Al-Jazeera, la chaîne de télévision qatarie. La guerre menée par Israël contre les miliciens islamistes, se déroule non seulement sur le terrain mais aussi dans le monde de l’information.