La Syrie semble se diriger de plus en plus vers la «libanisation»

0
288

(Paris, Rome, 29.09.2023). L’imbrication des deux plans, celui des acteurs extérieurs et celui des multiples composantes de l’échiquier syrien complexe, multiplie les lignes de fragmentation dans les décennies qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, dans d’autres contextes dominés par le pluralisme, devenus autant de lignes de failles géopolitiques

La Syrie semble s’orienter de plus en plus vers une «libanisation» du pays, avec l’émergence progressive d’un discours « identitaire » parmi les tribus arabes du gouvernorat oriental de Deir Ez-Zor, situé à l’est de l’Euphrate. C’est aussi là que les Turkmènes, qui ont toujours été soutenus par la Turquie, ont récemment émergé. En outre, le mécontentement, d’abord de nature économique, puis politique, au sein du groupe ethno-religieux druze du gouvernorat méridional d’al Soueïda ne cesse de croître, écrit l’agence «Nova News». Des processus de fragmentation qui, en plus de provoquer des fractures dans un tissu social déjà épuisé par douze années de conflit, constituent la toile de fond des mouvements de troupes des milices affiliées à la République islamique d’Iran. Ces derniers soutiennent le président syrien Bachar al Assad ; l’aviation russe aux côtés du gouvernement de Damas ; l’artillerie et les drones de guerre turcs, en coordination avec les milices pro-turques du nord du pays, et enfin la coalition internationale dirigée par les États-Unis, flanquée par les Forces démocratiques syriennes (FDS, à majorité kurde). L’imbrication des deux plans, celui des acteurs extérieurs et celui des nombreuses composantes de l’échiquier complexe syrien, multiplie les lignes de fragmentation, comme cela s’est déjà produit et se produit encore, dans les décennies qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, dans d’autres contextes dominés par le pluralisme, qui sont devenus autant de failles géopolitiques le long desquelles se déroulent des conflits en chaîne, de l’Asie centrale au Caucase, en passant par le Proche-Orient, jusqu’aux Balkans.

Le journal panarabe «Al Araby al Jadeed» a fait état ces derniers jours d’un «rapprochement» progressif entre les Etats-Unis, qui dirigent la coalition internationale contre l’Etat islamique en Syrie et en Irak, et la «communauté locale à l’est de l’Euphrate», c’est-à-dire parmi les tribus arabes qui représentent la majorité de la population dans les gouvernorats d’al Hassaka, Deir Ez-Zor, Raqqa et Alep. Les États-Unis seraient donc en train de prendre contact avec les tribus arabes, dans le but d’envisager l’hypothèse de favoriser la création d’administrations civiles alternatives à celle kurde, afin de faire face à l’instabilité croissante dans ces régions. Une telle instabilité faciliterait en effet la pénétration du gouvernement syrien. Bien qu’officiellement les États-Unis soutiennent les Forces démocratiques syriennes, imputant la crise syrienne au gouvernement de Damas et de l’Iran, des critiques ont récemment émergé de Washington à l’égard de l’administration autonome du Nord et de l’Est (également connue sous le nom de Rojava, dont les FDS constituent les forces armées), qui n’aurait pas suffisamment intégré les tribus arabes au sein de ses institutions civiles et militaires. Des plaintes ont émergé lors des récents affrontements entre les tribus arabes, dont les chefs constituent les conseils militaires des différentes villes, et les FDS dans le gouvernorat de Deir Ez-Zor.

Les tensions entre les tribus arabes et les Forces démocratiques syriennes avaient explosé après l’arrestation, le 27 juillet dernier, du chef du conseil militaire de Deir Ez-Zor, Ahmad al Khabil, également connu sous le nom d’Abou Khawla, et ont été formellement réglées le 7 septembre, lorsque le commandant des FDS, Mazloum Abdi, a annoncé que l’Administration autonome s’engagerait à satisfaire les demandes des tribus. Cependant, des affrontements sporadiques continuent d’avoir lieu, malgré la campagne lancée par les FDS pour désarmer les milices tribales arabes.

A lire : Syrie: la coalition menée par les États-Unis frappe des positions des milices pro-iraniennes à Deir Ez-zor

La tribu la plus puissante et la plus nombreuse est celle des Al Akidat, notamment le clan Al Bakir, auquel appartenait Abou Khawla. A la fin du mois d’août, ce dernier a organisé une réunion dans le village d’Al Bayda, au nord de Deir Ez-Zor, avec un représentant du Conseil civil de la ville et une délégation de la Coalition internationale dirigée par les États-Unis, pour discuter des affrontements en cours entre les milices tribales et les FDS. Après la réunion, les dirigeants du clan Al Bakir ont publié une déclaration dans laquelle ils ont exhorté la population à mener un processus de transformation politique dans le pays, pour créer « une Syrie libre et unie ». Les tensions ne se sont cependant pas encore dissipées, même si officiellement certains chefs tribaux et les FDS échangent des appels à l’unité face aux tentatives des gouvernements de Damas, d’Iran et de Turquie de semer le chaos.

Sur le front sud, les manifestations se poursuivent depuis 40 jours à Soueïda, la capitale du gouvernorat du même nom à majorité druze, dans le sud de la Syrie. Même dans ce contexte où, contrairement à ce qui se passe dans les régions contrôlées par l’administration autonome kurde-syrienne, les États-Unis n’ont pas d’alliés sur le terrain, Washington a récemment pris contact avec les chefs religieux druzes qui soutiennent les protestations. En outre, les manifestations, qui ont commencé par des revendications économiques, ont progressivement pris des connotations de protestations pour la destitution du président Assad. La semaine dernière, trois membres de la Chambre des représentants des États-Unis, les républicains Joe Wilson et French Hill et le démocrate Brendan Boyle, ont eu des contacts téléphoniques avec le leader druze Hikmat al Hijri, qui, depuis le 13 septembre, a déclaré son soutien aux manifestants qui protestent depuis plus d’un mois à Soueïda, pour un changement politique.

Par ailleurs, l’ambassade américaine en Syrie a récemment exprimé son soutien aux manifestants druzes, dans un message posté sur la plateforme X. Selon ce message, le sous-secrétaire d’État Ethan Goldrich « s’est entretenu avec le chef religieux druze Hikmat al Hijri, réitérant son soutien à la liberté d’expression des Syriens, y compris aux manifestations pacifiques à Soueïda. Nous renouvelons notre appel en faveur d’une Syrie juste et unifiée et pour une solution politique conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations Unies ». Pour l’heure, ajoute l’agence «Nova», les manifestations continuent de se dérouler de manière pacifique, mais il existe des risques d’escalade des tensions entre la communauté druze et les autorités de Damas. Une perspective risquée, surtout dans un gouvernorat comme celui d’al Soueïda, adjacent à la frontière avec la région du plateau du Golan, dont le gouvernement syrien continue d’exiger la restitution à Israël.