(Rome, Paris, 28.09.2023). Le jour où la nouvelle de l’approbation par Khamenei de la reprise des négociations directes entre l’Iran et les États-Unis a émergé, un scandale enflamme Washington : des think tanks américains auraient aidé des responsables iraniens à mieux comprendre comment se déroulent les discussions sur la construction du JCPOA
A Washington, le dossier iranien présente aujourd’hui un double visage. D’une part, il y a la reprise des négociations directes entre les responsables de Washington et de Téhéran, qui se rencontreront très probablement d’ici quelques semaines pour reparler du programme nucléaire iranien. De l’autre, un scandale qui oscille entre maccarthysme, superficialité et sécurité nationale : certains experts iraniens de haut niveau ont fourni leurs analyses à la République islamique lors des phases délicates des négociations sur le JCPOA (l’accord sur le gel du programme nucléaire de Téhéran, signé en 2015, au point mort depuis la sortie unilatérale des États-Unis en 2018, actuellement dans un limbe indéterminé), nous explique Ferruccio Michelin dans le quotidien «Formiche».
Les révélations proviennent d’un scoop commun entre « Semafor » (un média moderne qui dispose à ce stade d’excellentes sources sur le dossier Iran-USA) et « Iran International » (un site actuellement basé à Washington toujours vigilent pour démasquer les failles du régime théocratique). L’information documente une opération de trafic d’influence parrainée par l’Iran aux États-Unis qui a suscité l’indignation des législateurs et d’autres personnes à travers le pays. En particulier, une relation étroite se révèle entre la République islamique et trois analystes très proches de Robert Malley, ancien envoyé spécial de l’administration Biden pour l’Iran, qui a été suspendu et fait l’objet d’une enquête du FBI pour son manque de rigueur dans la manipulation de documents classifiés. Tandis qu’aucune explication officielle n’a été fournie à ce jour par Washington pour justifier le limogeage de Robert Malley, (Tehran Times) un média iranien (!) a publié la lettre de renvoi de l’ex-émissaire.
De nombreux membres du Congrès ont rapidement réagi aux révélations, notamment parmi les conservateurs (l’Iran est une « question sûre » qui peut facilement être utilisée contre des rivaux politiques lors de campagnes électorales). Le faucon républicain du Texas, Ted Cruz, a qualifié ces révélations de « désordre indescriptible troublant » et a appelé à l’arrêt des négociations avec l’Iran. Jim Banks, un autre républicain de l’Indiana, a commenté avec sarcasme : « lorsque les républicains ont averti que la tentative désespérée de l’administration Biden de relancer l’accord nucléaire raté d’Obama était un cadeau au régime iranien, nous n’exagérions pas… ».
Le scoop cite une série de courriels de diplomates iraniens révélant une coopération étroite entre des fonctionnaires du ministère iranien des Affaires étrangères et des individus d’origine iranienne désireux d’analyser pour Téhéran l’avancée des discussions. La période de référence est le printemps 2014, lorsque des hommes du ministère iranien des Affaires étrangères avaient lancé l’«Iran Experts Initiative» (IEI), un projet visant à améliorer l’image et les positions de Téhéran sur les questions de sécurité mondiale.
« En tant qu’Iranien, sur la base de mon devoir national et patriotique, je n’ai pas hésité à vous aider de quelque manière que ce soit », a écrit Ali Vaez dans un courriel, l’un des meilleurs experts actuellement en activité sur la dynamique iranienne. Vaez est membre du Crisis Group, une organisation internationale d’analyse et de recherche, qui se consacre à l’étude des questions de détente et de résolution des conflits. Le Crisis Group était autrefois dirigé par Malley. L’e-mail mentionné de Vaez était adressé à Mohammad Javad Zarif, alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement réformateur de Téhéran et l’un des promoteurs du JCPOA. Vaez a rappelé avec fierté qu’il avait collaboré avec Téhéran « en proposant à Votre Excellence une campagne publique contre l’idée d’une rupture, et en aidant votre équipe dans la préparation de rapports sur les besoins pratiques de l’Iran ».
Vaez a publiquement réfuté les allégations concernant son rôle. Il a reconnu avoir partagé une ébauche de l’un de ses commentaires avec des responsables iraniens avant sa publication, mais uniquement par courtoisie. Il a également déclaré que Téhéran l’avait accusé d’être trop dur dans ses propos sur l’Iran.
Une autre des personnalités évoquées est Ariane Tabatabaï (une chercheuse irano-américaine en sciences politiques, écrivaine et conseillère politique principale auprès du ministère de la Défense des États-Unis). Tabatabaï est décrite comme une autre proche collaboratrice de Malley, qui a fait partie de son équipe de négociation sur le nucléaire avec l’Iran en 2021, lorsque l’administration Biden avait mandaté l’envoyé spécial pour enquêter sur la possibilité de recomposer le JCPOA. Les résultats n’ont pas été au rendez-vous et Washington a maintenu une ligne plutôt sévère avec Téhéran, sans éliminer aucun élément de la panoplie de sanctions réintroduites par l’administration Trump. Actuellement, Tabatabaï occupe le poste de chef d’état-major du secrétaire adjoint à la Défense pour les opérations spéciales, un poste qui nécessite une habilitation de sécurité de haut niveau.
Dans le texte, il est mentionné que Tabatabaï a fait l’objet de questions concernant sa participation à des réseaux d’influence parrainés par le gouvernement iranien, tels que l’«Iran Experts Initiative», et sa communication avec le régime iranien. Son cas semble être l’un des plus graves parmi les personnes mentionnées dans l’article.
Selon de sources régionales, dans une correspondance, Ariane Tabatabaï déclare à un ancien haut responsable du gouvernement iranien avoir rencontré le prince saoudien Turki al-Fayçal, qui l’a invitée à se rendre en Arabie saoudite et a manifesté son intérêt pour une coopération avec elle. « J’aimerais connaître votre position, est-ce que ce type de travail vous intéresse ? », demande-t-elle dans un courriel à Téhéran.
Ariane Tabatabaï mentionne également une invitation qu’elle a reçue de la part d’une université en Israël, dans un objectif de participer à une conférence sur le contrôle des armements et le programme nucléaire iranien. Et Tabatabaï d’écrire : « Je voulais vous demander votre avis, et voir si vous pensez que je devrais répondre favorablement à l’invitation ». Ce à quoi l’ancien responsable iranien répond : « D’après toutes les considérations, il semble que le cas de l’Arabie Saoudite soit bon, mais il vaut mieux ne pas traiter le deuxième cas » (l’université israélienne). Quelques heures plus tard, Ariane Tabatabai répond : « Merci beaucoup pour vos conseils. Je travaillerai avec l’Arabie saoudite et vous tiendrai au courant de l’avancement ».
Le moment choisi pour ce scandale est exceptionnel : le jour même où les médias publiaient une histoire très embarrassante (et préoccupante) sur les relations directes de certains experts/fonctionnaires américains avec le gouvernement iranien, le guide suprême Ali Khamenei faisait savoir qu’il approuvait de nouveaux pourparlers directs entre les États-Unis et l’Iran, après des années au cours desquelles les contacts diplomatiques s’effectuaient par le relais des felouques européennes, omanaises, irakiennes ou qataries. Comme prévu, les activités diplomatiques se poursuivent entre Washington et Téhéran : il y a eu un échange de prisonniers et le dégel des fonds par les États-Unis, la possibilité d’un mini-accord visant à ralentir les progrès de l’enrichissement iranien, est sur la table.
Quelqu’un à Washington (à Téhéran, ou ailleurs) a-t-il eu intérêt à transmettre des informations désagréables et à brouiller les pistes dans ces contacts ? Le Crisis Group est une organisation très axée aux questions de droits et dont les visions sont liées aux idéaux et aux valeurs démocratiques. Certains éléments de la pensée Washingtonienne voient ces prérogatives comme étant gauchiste : l’affrontement entre démocrates et républicains se poursuit et n’épargne personne ; Dans un peu plus d’un an, le nouveau président sera élu.