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Les trois fronts qui enflamment la Syrie: affrontements du Nord à l’Est et protestations au Sud

(Paris, Rome, 05.09.2023). La guerre en Syrie entre à nouveau dans une phase très délicate. Après des mois d’impasse importante sur les différents fronts, à tel point que le conflit est désormais considéré comme « de faible intensité », les combats ont désormais repris dans le pays. Tout d’abord dans la partie nord, où des groupes proches d’Ankara tentent de gagner du terrain dans la région de Manbij au détriment des milices pro-kurdes des FDS, comme le rapporte le quotidien «Inside Over».

Des combats font également rage à l’est de l’Euphrate, plusieurs tribus arabes s’étant engagées dans des affrontements contre les FDS ces dernières semaines. Enfin, des manifestations et protestations contre le gouvernement du président Bashar Al Assad ont été enregistrées dans le sud du pays et notamment dans la province d’Al Soueïda. Une région affectée par la guerre civile qui a éclaté en mars 2011 et qui abrite une minorité, celle des (courageux) Druzes, qui ont toujours été neutres dans le conflit.

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C’est le signe d’une situation très critique d’un point de vue économique et social, Assad étant désormais appelé à faire face au spectre de nouvelles tensions politiques dans les zones contrôlées par le gouvernement.

Affrontements entre pro-Turcs et Kurdes

La région de Manbij est l’une des plus sensibles de Syrie. Située dans la province d’Alep, la région a été occupée par l’Etat islamique (EI) en 2014. Deux ans plus tard, les combattants kurdes des FDS chassaient les miliciens islamistes. Ces derniers ont ensuite occupé le territoire, entrant souvent en friction avec une population historiquement à majorité arabe. Les tensions dans la région n’ont donc jamais été entièrement éliminées, notamment parce que Manbij est située à quelques pas de la frontière turque, Ankara étant toujours opposée à l’idée de créer une macro-région sous influence kurde le long de ses frontières méridionales. Le président turc Erdogan a souvent menacé d’une intervention armée visant à placer à Manbij des milices arabes et islamistes entraînées par Ankara. Comme cela a été le cas dans d’autres territoires contrôlés par les FDS en Syrie.

Depuis la deuxième dizaine du mois d’août, les premiers affrontements ont été enregistrés dans la région de Manbij. Il ne s’agit cependant pas de l’opération redoutée d’Ankara. Bien qu’un soutien apporté par Erdogan à ses propres milices ne soit pas à exclure, la Turquie n’a officiellement lancé aucune intervention. Comme l’ont confirmé diverses sources syriennes, de nombreux groupes arabes résidant à Manbij se sont engagés dans des affrontements avec les FDS. Ce faisant, ils ont ainsi favorisé les tentatives des groupes pro-turcs de pénétrer dans les zones sous influence kurde. Ces incursions semblent toutefois avoir été largement repoussées, bien que la situation se soit difficile à évaluer.

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Les Russes soutiennent également les FDS. Une circonstance qui a créé un tableau paradoxal d’un point de vue géopolitique. En fait, les forces kurdes ont toujours été très proches des États-Unis, la Maison Blanche ayant en effet soutenu les FDS dans la lutte contre l’EI. Mais, à Manbij, il n’y a pas que des Kurdes. Lorsqu’en 2019, le président américain de l’époque, Donald Trump, a annoncé l’abandon partiel de la Syrie, les FDS ont senti le danger d’une éventuelle action turque contre elles et ont conclu des accords avec le gouvernement de Damas, sous la médiation russe. Moscou, faut-il le rappeler, est le principal allié du gouvernement syrien. Les accords en question prévoyaient entre autres le repositionnement d’hommes de l’armée de Damas à Manbij. Les attaques des groupes pro-turcs dans cette zone sont donc considérées par la Russie comme des attaques également contre son allié syrien. D’où les raids de l’armée de l’air de Moscou, documentés sur les réseaux sociaux et les médias locaux.

Tout cela alors que le sommet entre Vladimir Poutine et Erdogan était organisé ces derniers jours à Sotchi. Les deux hommes ont également parlé de la Syrie alors qu’à Manbij, les groupes qu’ils soutenaient se trouvaient de part et d’autre des barricades. Un élément capable de démontrer la délicatesse de la situation au nord d’Alep.

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Les révoltes des tribus arabes à l’est du pays

Les combats touchent également la partie orientale de la Syrie. Et là aussi, le contexte géopolitique apparaît très complexe et délicat. Si l’ouest du pays est aux mains du gouvernement d’Assad et est donc sous influence russe, à l’est de l’Euphrate se trouvent quelques contingents américains et le territoire est dominé par les FDS. Les forces kurdes sont arrivées ici entre 2017 et 2019, au cours des dernières années de la lutte contre le califat islamique. Ainsi, le même dilemme concernant Manbij se pose à nouveau : de nombreuses régions sont en effet majoritairement arabes.

Pour de nombreux analystes, l’explosion des tensions n’était donc qu’une question de temps. Dans ce cas également, de véritables insurrections contre les FDS ont été enregistrées depuis les derniers jours du mois d’août. Un timing qui pourrait laisser soupçonner une coordination entre les groupes arabes de Manbji et les tribus arabes de Deir Ez-zor.

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De nombreux combattants arabes dans les rangs des FDS ont déserté, les dirigeants de la coalition à majorité kurde ont été contraints d’agir pour endiguer les révoltes. Mais cela ne suffisait pas : le long de la bande qui longe la rive orientale de l’Euphrate, plusieurs villages furent conquis par des tribus arabes. Les affrontements se poursuivent, les FDS ayant de nombreuses difficultés à rétablir le statu quo du mois d’août.

Les Druzes dans la rue

Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer ce qui se passe dans la province d’Al-Soueïda. Les manifestations qui ont débuté ces dernières semaines sont pour l’heure relativement pacifiques, mais pourraient avoir d’importantes conséquences politiques. D’abord parce que la minorité druze, largement représentée dans la région, a toujours été neutre. En effet, plusieurs membres de l’armée syrienne sont druzes, et pendant la guerre, certains d’entre eux ont été considérés comme de véritables héros. A commencer par le général Issam Zahreddine, celui qui a défendu la ville de Deir Ez-zor contre un siège trois ans  imposé par l’Etat islamique.

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Des slogans contre Assad sont apparus lors de plusieurs manifestations, tandis qu’au cours des dernières heures, un portrait géant de Hafez Al-Assad, le père du président, a été retirée d’un bâtiment gouvernemental à Al-Soueïda.

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Les citoyens se sont insurgé contre la suppression des subventions pour une partie de la population et ont dénoncé des cas de corruption au sein des autorités locales. Une étincelle donc qui pourrait constituer un nouveau signal d’alarme pour Damas.

L’impasse économique et l’inflation risquent d’imploser la Syrie

L’intolérance à l’égard des conditions économiques qui s’est manifestée à Al-Soueïda est le reflet d’un pays qui, malgré un conflit de faible intensité et une stabilité substantielle trouvée dans les plus grandes villes aux mains du gouvernement, peine à se relever. La reconstruction dans les villes dévastées par la guerre n’a jamais véritablement démarré, tandis que le Covid d’abord et la guerre en Ukraine ensuite ont contribué à la hausse des prix et donc à une nouvelle détérioration des conditions de vie des familles les moins aisées. À cela, s’ajoute l’effet délétère des sanctions américaines et européennes, qui n’ont été que partiellement levées à la suite du tremblement de terre qui a détruit le nord de la Syrie le 6 février dernier.

Un mélange mortel pour une économie bloquée et incapable de redémarrer. La faim et la pénurie de produits de première nécessité pourraient actuellement représenter les menaces les plus sérieuses qui pèsent à la fois pour l’emprise d’Assad et pour la stabilité en générale de la société syrienne.

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