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Un nouveau chapitre est en train de s’écrire au Sahel

(Paris, Rome, 07.08.2023). En Afrique, le chapitre le plus violent et le plus chargé de la compétition entre les grandes puissances est en train de s’écrire. Coups d’État, guerres civiles, guerres par procuration, insurrections terroristes et processus d’anarchisme traversent tout le continent, du Sahara occidental atteint par de nouveaux vents de tension au Congo dans le tourbillon d’une guerre civile éternelle.

Depuis que la guerre mondiale fragmentée a atteint son paroxysme lors des turbulentes années 1910, l’Afrique a connu un crescendo d’instabilité exceptionnelle, sans précédent dans le reste du monde, qui l’a propulsée au sommet du tableau du chaos : plus de 65 conflits actifs dans plus de vingt pays, impliquant une trentaine d’acteurs non étatiques, entraînant plus de cent mille morts rien qu’en 2022.

Les guerres et l’instabilité sont presque partout en Afrique, du désert libyen aux forêts mozambicaines, mais une région l’emporte sur toutes les autres en termes de concentration de violences intercommunautaires, interethniques, interreligieuses et politiques : le Sahel. Un record qui parle des difficultés d’un processus de décolonisation sans fin et, surtout, de l’importance de cette zone pour les grandes puissances du système international, comme le rappelle Emanuel Pietrobon dans son décryptage dans les colonnes du quotidien «Il Giornale/Inside Over».

Présentation du Sahel

Le Sahel, une frontière du désert, est la région en forme de serpentin qui sépare l’Afrique du Nord, culturellement islamique et ethniquement arabe, de l’Afrique centrale et australe, un mélange babélique de confessions, d’ethnies et de tribus. Ce mur de séparation, qui a l’Atlantique et la mer Rouge pour ses deux extrémités, est le point de rencontre et d’affrontement entre les nombreuses âmes du continent et traverse des portions de l’Algérie, du Burkina Faso, du Cameroun, du Tchad, de l’Erythrée, de la Gambie, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Nigéria, du Sénégal et des deux Soudans.

Les éléments climatiques, démographiques, géoéconomiques et géopolitiques font de cette région charnière une bombe à retardement qui, si elle est judicieusement manipulée, est susceptible de causer des dégâts considérables : six habitants sur dix ont moins de vingt-cinq ans, la désertification stérilise plus d’un million d’hectares de terres arables par an et les instabilités sociales et politiques, qui ne montrent aucun signe d’apaisement, ont produit cinq cent mille personnes déplacées à l’intérieur de cette terre entre 2021 et 2022 seulement.

La situation au Sahel est explosive, exacerbée par l’expansion du terrorisme islamiste (40 % des violences djihadistes en Afrique se déroulent dans cette région) que l’Union européenne a tenté d’atténuer dans le cadre de sa politique d’externalisation des frontières : investissements et accords militaires en échange de coopération dans la lutte contre l’immigration clandestine.

L’Union européenne est au Sahel, terre traversée par 4,1 millions de déplacés, pour fermer les robinets de l’immigration clandestine. La France est au Sahel pour protéger la puissance économique et énergétique de la «Françafrique». La Russie, la Chine et la Turquie sont au Sahel pour «déconstruire» l’empire africain de la France et s’emparer d’un arsenal d’armes de migration massive.

Le Sahel, une ceinture indispensable

Le Sahel est l’un des théâtres clés de la compétition entre grandes puissances et l’épicentre de son volet africain, la « Scramble for Africa 3.0 », pour une combinaison de raisons à la fois géostratégiques – construction de corridors commerciaux – géoéconomiques – exploitation des ressources naturelles, politiques – recherche d’alliés – et guerrières – guerres hybrides.

Des objectifs égaux et opposés déplacent les pas des grandes puissances agissant aux confins du désert, où se trouvent des gisements considérables de diamants, de fer, de lithium, d’or, de pétrole, de cuivre et d’uranium. La Mauritanie est le troisième producteur mondial de fer. Le Niger est le premier fournisseur d’uranium de l’Union européenne. Dans le top cinq des plus grands producteurs d’or africains, trois positions sont occupées par des pays sahéliens : le Burkina Faso, le Mali et le Soudan.

L’Union européenne est au Sahel pour réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. La Russie est au Sahel pour se doter de leviers de chantage contre l’Union européenne. La Chine est au Sahel pour achever la construction du couloir des rêves : une route euphrasienne, avec Pékin comme première étape et l’Atlantique comme terminus, capable de lier les destins du jeune siècle chinois et de l’embryon de siècle africain.

La guerre mondiale qui a éclaté au Sahel est « la guerre de tous contre tous » : la Turquie opère toute seule en construisant des mosquées, en sponsorisant les services du groupe Sadate et en finançant des activités humanitaires, la Russie mise sur le mécontentement postcolonial pour encourager les coups d’État entre 2020 et 2023, et enrôler les nouvelles juntes dans la cause de la transition multipolaire, la Chine investit dans les infrastructures commerciales et énergétiques et la France se retire de sa sphère d’influence, rongée par les Russes, les Chinois, les Turcs, les Emiratis, les Iraniens et les Saoudiens, à la recherche de nouveaux espaces entre le Turkestan et l’Indo-Pacifique.

La guerre mondiale qui a éclaté au Sahel est le résultat d’une combinaison de facteurs géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques. Il y a ceux qui veulent ouvrir les robinets de l’immigration clandestine pour inonder l’Europe et il y a ceux qui veulent les fermer. Il y a ceux qui veulent contrôler les super-gazoducs qui pourraient un jour atteindre l’Europe depuis les champs d’Afrique de l’Ouest, et il y a ceux qui veulent les saboter. Il y a ceux qui nourrissent le terrorisme et ceux qui le combattent.

Le vainqueur momentané de ce chapitre fragmenté de la guerre mondiale, qui s’enrichit chaque jour d’une nouvelle page, est la Russie. La Russie qui est entrée au Sahel sur la pointe des pieds, les pieds du Groupe Wagner, faisant tomber pièce après pièce le domino français. Jusqu’au Niger, l’intouchable devenu contestable, avec lequel il a mis ses rivaux occidentaux devant un dilemme épuisant : intervenir au risque d’une guerre régionale ou ne pas intervenir, en se préparant à un effet de contagion. Échec et mat pour la Françafrique, à l’heure actuelle.

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