(Rome, Paris, 23.07.2023). Le choix de New Delhi de bloquer les exportations de riz met en danger la sécurité alimentaire mondiale, affectant en particulier les pays les plus pauvres, et s’ajoute à la manœuvre de guerre russe à l’encontre du blé ukrainien
L’Inde, le plus grand exportateur de riz au monde, a interdit jeudi toutes les exportations de « riz blanc non basmati » dans le but de maîtriser les prix intérieurs. La décision nationaliste a suscité des craintes quant à la sécurité alimentaire mondiale, notamment en ce raison de l’échec de l’accord sur les flux de céréales ukrainiennes en provenance de la mer Noire, que Moscou voulait faire exploser dans le cadre de la dynamique de guerre contre Kiev, selon le quotidien italien «Formiche».
Le ministère indien de la Consommation et de l’Alimentation a déclaré qu’il prévoyait d’interdire, «avec effet immédiat», les exportations afin de « garantir » un approvisionnement « adéquat » pour les consommateurs indiens et « d’atténuer la hausse des prix sur le marché intérieur ». Selon le ministère, les prix du riz en Inde ont augmenté de 11,5 % l’année dernière et de 3 % au cours du mois dernier, en raison d’une augmentation de 35 % des volumes d’exportation entre avril et juin. Les prix ont atteint des sommets pluriannuels au cours des dernières semaines, en raison des conditions météorologiques irrégulières qui menacent la production. Récemment, diverses régions du pays ont été frappées par des inondations, résultat d’une saison de mousson particulièrement violente, après de longues périodes de sécheresse.
L’Inde est le premier exportateur mondial de riz, représentant environ 40 % des exportations mondiales, suivie par la Thaïlande et le Vietnam, où les prix du riz ont augmenté cette année, faisant grimper les coûts pour les pays qui espèrent contourner l’interdiction de New Delhi. Selon plusieurs analystes, la hausse des prix des céréales pourrait alimenter l’inflation alimentaire mondiale.
La décision de New Delhi incitera les marchands à annuler les contrats de vente d’environ 2 millions de tonnes de riz, d’une valeur de 1 milliard de dollars, sur le marché mondial. Plusieurs sociétés de commercialisation avaient préparé des lettres de crédit de producteurs en prévision des restrictions que le gouvernement indien devait mettre en œuvre, mais l’exécutif de Narendra Modi n’était pas censé agir si tôt. On pensait que les mesures entreraient en vigueur en septembre, ou en août. Jeudi, cependant, le gouvernement indien a déclaré que l’interdiction serait activée immédiatement, à partir du 20 juillet, et que seuls les navires actuellement en cargaison seraient autorisés à exporter, et non les cargaisons futures (même si elles sont déjà traitées). Aucune restriction ne pèse en revanche sur le riz basmati, qui représente « l’essentiel » des exportations indiennes de la céréale, permettant « aux agriculteurs de continuer à bénéficier de prix rémunérateurs sur le marché international », indique l’exécutif.
Avant l’interdiction d’exportation, l’Inde vendait chaque mois environ 500.000 tonnes de riz blanc non basmati. Environ 200.000 tonnes de riz ont été chargées dans divers ports indiens, et cette quantité sera autorisée à sortir, a déclaré à Reuters Krishna Rao, président de l’Association des exportateurs de riz.
Les principaux acheteurs de riz non basmati indien sont le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, la Guinée, le Bangladesh et le Népal. Il s’agit des pays sous-développés, où le riz est un élément crucial de l’alimentation locale. Cette céréale est un aliment de base pour plus de 3 milliards de personnes et près de 90% de cette culture gourmande en eau est produite en Asie, où le phénomène climatique «El Nino» entraîne généralement une réduction des précipitations, pesant sur les cultures sensibles à l’eau telles que le riz. Il convient d’ajouter que cette année, comme l’année dernière, beaucoup moins d’engrais ont été utilisés en général, compte tenu de l’augmentation des coûts également liée à la guerre russe en Ukraine.
Des images circulent sur les réseaux sociaux montrant des Indiens faisant la queue devant des supermarchés ethniques aux États-Unis dès qu’ils ont appris la nouvelle, mais l’enjeu concerne surtout des territoires comme l’Afrique, également touchés par les conséquences potentielles de la question du blé ukrainien. « Il s’agit d’une réaction instinctive, d’autant plus qu’au 1er juillet, les stocks de riz du gouvernement étaient trois fois plus élevés que la norme du stock régulateur », a déclaré Ashok Gulati, professeur au Conseil indien pour la recherche sur les relations économiques internationales. « Nous sommes dans une position extrêmement confortable en ce qui concerne les stocks », a-t-il ajouté.
« Les pays sont déjà confrontés à une inflation alimentaire substantielle, en particulier les pays pauvres », a déclaré Arif Husain, économiste en chef au Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM). « Lorsque vous êtes particulièrement dépendant des importations alimentaires et que le fardeau de la dette est lourd, que la monnaie se dévalue et que les taux d’intérêt augmentent, si vous êtes un pays pauvre qui importe de la nourriture ou des engrais, vous êtes en difficulté », a ajouté Husain selon le «Financial Times». Le PAM peut toujours acheter du riz indien pour ses propres programmes malgré l’interdiction, car l’OMC a ordonné l’année dernière d’exempter ces organisations des interdictions nationales d’exportation.
Il convient également de considérer que, selon toute vraisemblance, les mêmes raisons qui conduisent à une réduction de la production en Inde pourraient également affecter les régions productrices chinoises, qui elles aussi, subissent les effets du Nino. Sauf que la Chine est aussi importatrice de riz, car la production n’est pas suffisante pour répondre aux besoins locaux. Cela signifie que, face à une baisse de la production chinoise, Pékin tentera de compenser la demande sur le marché international, en soustrayant de nouvelles quantités à l’offre réduite par la décision indienne. Il en résulte une prévision de pics de prix très proche de celui, dramatique, de 2003.
Comme le rappelle la presse française, en septembre 2022, après une sécheresse importante dans ses principales régions productrices de riz, l’Inde avait déjà interdit les exportations de brisures de riz (riz à moindre prix, aux grains fracturés accidentellement ou non) et imposé une taxe de 20 % sur les exportations de la matière de qualité supérieure.