(Rome, Paris, 25.06.2023). Pour le président biélorusse, le succès de la médiation avec le chef de Wagner représente une victoire politique inespérée
Alors que les projecteurs étaient braqués sur Moscou, où les citoyens et les autorités assistaient, presque impuissants, à l’avancée des hommes de Prigozhin depuis le sud, le véritable tournant du samedi le plus surréaliste vécu par la Russie, est venu de Minsk. Peu avant 19h30, par une simple déclaration, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a annoncé qu’il avait négocié un accord avec Prigozhin. Et que, surtout, ce dernier avait accepté de mettre fin à son aventure militaire, rapporte le quotidien italien «Il Giornale».
Quelques lignes de communiqué qui ont non seulement changé le cours des événements mais qui, entre autres, ont peut-être renversé le rapport de force entre Moscou et Minsk. Loukachenko, jusqu’à samedi après-midi, n’était guère considéré plus qu’un vassal de Vladimir Poutine, à qui il devait le soutien et l’appui nécessaires pour maintenir en vie son pouvoir chancelant. La situation inverse s’est réellement produite samedi après-midi : c’est le Kremlin qui, dans une note rendue publique par la presse russe, a dû remercier le président biélorusse pour son travail de médiation. Un travail qui garantissait à Poutine, au moins pour le moment, sa survie politique et éliminait les spectres d’une confrontation directe avec Prigozhin.
La médiation de Loukachenko
Peu de détails sont encore connus à la fois sur l’accord négocié par Loukachenko et sur la manière dont les contacts avec Prigozhin ont été établis. Il est donc difficile à l’heure actuelle de dire si c’est le Kremlin qui a demandé à Loukachenko de servir de médiateur ou, au contraire, si c’est le président biélorusse qui a développé de manière indépendante l’idée de parler au chef de Wagner.
Les deux hypothèses seraient plausibles et auraient une base politique solide. Dans le premier cas, on peut penser à une demande explicite de Poutine à l’allié, compte tenu de la situation de grande difficulté qu’il a vécue tout au long de la journée de samedi. Dans le second cas, Loukachenko a peut-être réfléchi aux implications d’une Russie déstabilisée sans son principal allié à la barre.
Quoi qu’il en soit, il est clair que Loukachenko a jugé le succès de sa médiation comme politiquement opportun. Selon ce qu’il a lui-même déclaré, les négociations avec Prigozhin se sont poursuivies tout au long de la journée. Il est donc probable que les premiers contacts aient eu lieu immédiatement après l’annonce de l’occupation de Rostov par les miliciens de Wagner. La progression rapide des combattants de Prigozhin le long de la M4, l’autoroute menant de Rostov à Moscou, a peut-être motivé Loukachenko à faire pression pour une résolution politique rapide de la question.
Ses vœux se sont réalisés en fin d’après-midi. Avec son communiqué sur l’accord conclu avec Prigozhin, le président biélorusse a occupé le devant de la scène. Tel un acteur faisant soudainement irruption sur scène, devenant ainsi la star inattendue aux yeux d’un public qui s’attendait à bien d’autres mouvements. « Prigozhin, a écrit Loukachenko dans la note envoyée peu avant 19h30, a accepté de mettre fin à l’avancée ».
Le dirigeant biélorusse n’a pas voulu perdre de temps à annoncer l’aboutissement de «ses» négociations. Anticipant Prigojine lui-même, qui aurait sans doute voulu faire passer le message que la décision de mettre un terme à l’avancée était le sien et uniquement dicté par la volonté de «ne pas verser le sang». Son message audio sur sa chaîne Telegram est arrivé trop tard, peu de temps après la déclaration officielle de Loukachenko depuis Minsk.
La signification politique de l’intervention de Minsk
Les seules certitudes de l’accord négocié par le président biélorusse concernent le sort de Prigozhin, qui a vu ses poursuites pénales annulées et qui s’est vu accorder l’exil à Minsk ; et des combattants wagnériens qui ne l’ont pas suivi dans son aventure vers Moscou, pourraient être intégrés au sein de l’armée russe.
Loukachenko n’a probablement aucun intérêt à révéler davantage de détails. Pour lui, la seule chose qui compte est de pouvoir prétendre avoir stoppé l’avancée de Wagner. Le président biélorusse n’a nullement apprécié l’image de vassal de Poutine. Notamment parce que cela n’a pas toujours été le cas. Par exemple, en 2014, lorsque les premières émeutes éclatent dans le Donbass, c’est lui qui a négocié les premiers accords entre Ukrainiens et Russes. Les pactes signés à cette époque portaient le nom, sans surprise, d’accords de Minsk.
Dans les années qui ont suivi, le Kremlin craignait à plusieurs reprises de perdre Loukachenko et de voir la Biélorussie quitter son orbite d’influence. Le rapprochement entre Minsk et Moscou n’a eu lieu qu’en 2020, au lendemain des élections présidentielles contestées qui ont donné un nouveau mandat à Loukachenko. Les gens sont descendus dans la rue, il y avait même un risque de confrontation armée, alors que l’UE n’a pas reconnu le résultat du vote et a appliqué des sanctions. À ce moment-là, Poutine a promis son soutien et a évité la capitulation de son allié. Toutefois, ce dernier, a dû s’adapter à la politique du Kremlin à partir de ce moment-là.
Aujourd’hui, la situation pourrait à nouveau changer. C’est désormais Poutine qui doit remercier le dirigeant biélorusse. Et ce dernier est en mesure de s’écarter légèrement de son image de vassal. Le premier effet pourrait être directement lié au conflit en Ukraine : à plusieurs reprises, le Kremlin a demandé à Loukachenko d’entrer en guerre. Mais ce dernier a toujours refusé, conscient du risque de déstabilisation de son pays. Désormais, Poutine n’est plus en mesure d’insister.
Plus généralement, on peut dire que la dette politique de la Biélorussie envers la Russie est maintenant remboursée. Et Loukachenko pourra faire valoir son intervention diplomatique auprès de Prigozhin lorsque des demandes intempestives émaneront du Kremlin, en supposant qu’il y en aura à l’avenir. Une situation idéale, d’un point de vue politique, pour le président biélorusse. Une situation qui a toutefois une limite : le gain politique pour Loukachenko est lié au maintien de Poutine au pouvoir. Et peut-être que même à Minsk, après la journée d’hier, on s’est rendu compte que tôt ou tard, il faudra faire face à la possibilité d’un changement de leadership au Kremlin.