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Des scientifiques jugés par Vladimir Poutine pour haute trahison dans l’affaire des Kinzhal abattus

(Rome, Paris, 19.05.2023). Trois scientifiques russes ayant travaillé sur la technologie du missile hypersonique Kinzhal, objet de la querelle des démentis entre Moscou et Kiev, feraient face à des accusations de haute trahison dont ils devront répondre devant les services secrets ; c’est ce qu’a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.

Qui sont les universitaires arrêtés

Selon le quotidien italien «Il Giornale/Inside Over», il s’agit de trois universitaires sibériens de l’«IT Asset Management» (ITAM) de Novossibirsk ; Anatoly Maslov, Alexander Shiplyuk et Valery Zvegintsev, pour leur défense, toute la communauté des chercheurs se mobilise : déjà lundi dernier, un appel signé par des collègues faisant autorité pour la défense des trois universitaires, circulait, dans lequel ils protestaient au nom de leur innocence, exprimant de sérieuses inquiétudes face à une décision du Kremlin, qui serait préjudiciable à l’ensemble de la communauté scientifique russe. Les trois chercheurs, qui travaillent pour l’Institut de mécanique théorique et appliquée, ont un cursus sans faute et, comme le soulignent leurs collègues, leurs travaux ont toujours été strictement contrôlés par les autorités. Les proches collaborateurs et les collègues au sens large craignent désormais que la communauté scientifique russe ne devienne le nouveau bouc émissaire du bourbier auquel est confronté le département de la Défense de Moscou.

« Dans cette situation, nous craignons non seulement pour le sort de nos collègues. Nous ne comprenons tout simplement pas comment nous pouvons continuer à faire notre travail » : les érudits de l’ITAM accusent en effet le Kremlin d’avoir déclenché une chasse aux sorcières qui invalidera les fondements de la recherche scientifique à la base de tout progrès technologique et militaire : ce faisant, tonnent les scientifiques, dans un pays vieillissant où les universitaires de plus en plus âgés, la recherche sera de moins en moins attractive pour les jeunes. Et ils préviennent : la science russe pourrait ne pas résister à un nouveau coup dur comme celui des années 1990.

L’accusation de haute trahison

Le chef d’accusation spécifique est en fait paradoxal : les trois personnes sont détenues pour avoir pris la parole lors de conférences à l’étranger, pour avoir publié dans des revues scientifiques populaires et participé à des projets de recherche internationaux : c’est-à-dire de quoi se nourrit la science avec un grand (S).

Les trois scientifiques n’auraient pas tous été arrêtés en même temps. Maslow et Shiplyuk ont ​​en effet été arrêtés l’été dernier : les soupçons à leur égard remontent à 2012, lorsqu’ils ont présenté les résultats d’une expérience sur des missiles hypersoniques lors d’un séminaire à Tours. Aucune information n’avait filtré sur la récente arrestation du troisième universitaire, Zvegintsev, en détention provisoire depuis le 7 avril, selon les informations d’un tribunal de Novossibirsk. Avec ce dernier, les deux premiers avaient publié en 2016 une étude intitulée « Hypersonic Shot-Duration Facilities for Aerodynamic Research at Itam, Russia ». Zvengintsev avait dirigé une section fondamentale pour ce type de technologie, à savoir le «High Speed Aerodynamics Laboratory» de l’ITAM. Et c’est précisément grâce aux produits de ces recherches que Vladimir Poutine a pu mener ces dernières années sa propagande pompeuse qui, sur les réseaux unifiés, raconte comment détruire Paris ou Londres en quelques minutes.

Quel épilogue ?

Les poursuites pour haute trahison (article 275 du Code pénal de la Fédération) sont menées à huis clos car les autorités traitent des informations hautement confidentielles. La peine maximale encourue est de vingt ans. Lorsque la première croisade contre les scientifiques a commencé en juin dernier, les arrestations de Maslow et Shiplyuk ont ​​été suivies le 30 juin par l’arrestation d’un autre scientifique, Dmitry Kolker, également soupçonné de haute trahison pour avoir collaboré avec les services de sécurité chinois : ce dernier était à la tête du laboratoire de technologies optiques quantiques de l’Université de Novossibirsk. Kolker est décédé, deux jours après avoir été arrêté, d’un cancer du pancréas de stade 4, alors qu’il était transféré au centre de pré-détention.

L’acte d’accusation en instance contre les trois universitaires semble présager un épilogue funeste et peu d’espoir de réhabilitation. La raison du report des arrestations reste inconnue : si, comme on pourrait facilement le penser, l’accusation contre Zvegintsev pouvait trouver sa raison d’être dans le récit de l’abattage des six Kinzhal (le 17 mai), l’arrestation de ses collègues de travail l’été dernier, semble trahir un autre type de raison. Le ministère britannique de la Défense, dans sa mise à jour quotidienne, est prêt à parier que Moscou a perdu bien plus de missiles hypersoniques qu’on ne l’imagine : leur vulnérabilité serait donc un motif de surprise et d’embarras pour le Kremlin, qui avait défini cette arme comme imbattable avec les technologies «Avangard» et «Zirkon» qui ont été le croque-mitaine prêt à être brandi vers l’Europe et les Etats-Unis depuis le début du conflit.

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