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Liban: après sa visite au Pays du Cèdre, le sénateur Xavier Iacovelli parle du «désespoir interdit»

(Dario S. Roma, Paris, 22 février 2023). Le sénateur français d’origine italienne, Xavier Iacovelli, vice-président du groupe d’amitié France-Liban au Sénat, a effectué une visite au Pays du Cèdre du 16 au 19 février 2023. A l’issue de son deuxième déplacement dans ce pays en crise, il nous livre ses impressions. Il parle du « désespoir interdit ». Une formule qui résume la complexité de la situation, la détermination des souverainistes à relever le défi, et surtout de la disponibilité de la France qui « n’abandonnera jamais le Liban », propos confirmés par l’ambassadrice de France à Beyrouth, Anne Grillo.

Rencontré à Paris après son retour d’un voyage au Liban, entre le 16 et le 19 février, le sénateur Xavier Iacovelli tient un discours franc, loin de la langue de bois. L’idée de ce deuxième déplacement au Liban est née d’une rencontre avec la communauté libanaise, fin janvier. Lors de ce rassemblement caritatif qui « m’a marqué, j’ai discuté avec la députée libanaise Ghada Ayoub de la disponibilité de la France à poursuivre ses efforts pour aider le Liban sur tous les plans : économique, social, éducatif, mais surtout politique », dit-il. C’est là que le voyage a été décidé, et le programme de la visite dessiné.

Pour Xavier Iacovelli, « ce fut un programme très dense et particulièrement enrichissant. Un marathon qui m’a permis de rencontrer plusieurs personnalités politiques de premier rang, en moins de deux jours ». Il s’est en effet entretenu avec le chef du parti des Forces libanaises, Samir Geagea, et visité la réplique de la cellule dans laquelle le chef de file des souverainistes avait été emprisonné par le régime sécuritaire libano-syrien pendant plus de onze ans (1994-2005). Il a également rencontré le candidat souverainiste à l’élection présidentielle Michel Mouawad, puis le député Marwane Hamadé, qui avait miraculeusement échappé à une tentative d’assassinat en 2004. Ce fut le premier d’une longue série d’attentats menée par l’axe syro-irano-hezbollahi contre les symboles de la révolution du Cèdre. M. Iacovelli a également rencontré le député issu de la révolte d’octobre 2019, Waddah Sadek, la députée Ghada Ayoub, la « martyre vivante » May Chidiac, qui est elle aussi une rescapée de l’explosion de sa propre voiture en septembre 2005. Pour compléter le tour d’horizon, Iacovelli a rencontré Hadi al-Assaad, directeur de l’école supérieure des affaires, fils de l’ancien président du Parlement Kamel al-Assaad qui se réclame de la « Troisième voie », un mouvement chiite qui revendique son appartenance au Liban, contrairement au Hezbollah, qui est en réalité une projection de la République islamique d’Iran et qui occupe de fait le Liban. Avant son départ de Beyrouth, le sénateur a rencontré l’ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo.

Un soutien indéfectible à la souveraineté libanaise

Le dénominateur commun entre les personnalités rencontrées est, sans nul doute, leur appartenance au camp souverainiste. Xavier Iacovelli se félicite d’ailleurs du changement constaté entre son premier et son deuxième voyage au Pays du Cèdre : « le clivage confessionnel remarqué lors de mon premier séjour, a cédé la place à un clivage entre les souverainistes et les pro-iraniens ». Parmi les premiers figurent de nombreux chiites et sunnites qui revendiquent leur libanité, aux côtés des traditionnels souverainistes chrétiens menés par les Forces Libanaises. Le camp pro-iranien regroupe le duo chiite (Amal et Hezbollah), avec une minorité chrétienne. « Cette mutation est porteuse d’espoir », reconnait le sénateur qui milite pour soutenir le camp souverainiste, car « pour moi, le plus important demeure le respect de la souveraineté du Liban ».

Au détour de la conversation, Iacovelli rappelle que « la crise libanaise est cyclique. Après l’ère du ‘maronitisme politique’ (domination politique de la communauté Maronite) a succédé l’ère du ‘sunnisme politique’ (avec Rafic Hariri, au lendemain des accords de Taëf). Aujourd’hui, le Liban vit l’ère du ‘chiisme politique’ avec le duo Amal-Hezbollah ». Sans tirer une quelconque conclusion, notre interlocuteur admet que « le Liban était la Suisse du Moyen-Orient sous l’ère du maronitisme politique. Il frôle la famine aujourd’hui ». Il faut respecter l’intelligence du lecteur pour déduire que la destruction du Liban fait partie du programme du Hezbollah pour achever sa mainmise sur le pays et le façonner à sa main. Mais « la détermination des souverainistes et l’activisme de la diaspora, conjugués aux efforts de la communauté internationale avec la France en tête, entretiennent l’espoir de voir le Liban se relever », souligne Xavier Iacovelli, tout en reconnaissant les difficultés et la complexité de la crise avec ses ramifications régionales qui entravent par ailleurs l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, qui demeure un objectif de tous les souverainistes et des proches des victimes. Mais certains par intérêt ou pour d’autres raisons obscures, empêchent les juges d’instruction de poursuivre leurs enquêtes. [NDLR : selon plusieurs enquêtes journalistiques, le Nitrate d’ammonium caché dans le port de Beyrouth et ayant provoqué la destruction du port, aurait été à destination du régime de Damas]. La lumière doit être faite sur les responsabilités, les complicités, qui ont conduit à des centaines de décès et des milliers de blessés et des dégâts matériels par milliards de dollars. Nous le devons aux familles des victimes.

La France, seul pays qui parle à tous

Pour Xavier Iacovelli, « le Liban demeure la porte d’entrée de la France au Moyen-Orient, mais il est paradoxalement une barrière pour l’Europe ». Il faut comprendre par ces propos que le Hezbollah qui prend le Liban en otage pour le compte de l’Iran, principalement, et de la Syrie accessoirement, est la barrière. Or, le pragmatisme politique de la France, que tous les acteurs libanais lui reconnaissent, devrait lui permettre de maintenir le dialogue avec tous les protagonistes et tenter de trouver une solution sans pour autant céder aux caprices du Hezbollah, faire des concessions à l’Iran ou renouer avec Damas. Le sénateur reconnait à cet égard un rôle primordial de la France dans les négociations indirectes pour la délimitation des frontières maritimes avec Israël et le partage du gaz en Méditerranée, car « Il n’y a que la France qui parle à tous les protagonistes ».

Le désespoir interdit

En conclusion, Xavier Iacovelli reste très confiant : « après mes nombreuses rencontres au Liban, j’ai constaté une volonté inébranlable chez les souverainistes de redresser la situation. Cela commence par l’élection d’un souverainiste réformateur et l’engagement d’un plan d’assainissement financier, de réformes administratives. Le candidat Michel Mouawad est un candidat sérieux pour représenter le réformisme et la souveraineté nécessaire pour un nouveau Liban ». L’actuel blocage au sein du Parlement, entretenu par le Hezbollah, Amal et le CPL, complique les choses. Les mêmes – à l’exception du CPL – soutiendraient plutôt la candidature de Sleiman Frangié, lui aussi avec une situation de blocage par une absence de majorité sur son nom [NDLR : Frangié ne cache pas sa proximité avec Bachar al-Assad, deux frères jumeaux selon le chef du parti Marada, ce qui justifie l’opposition des souverainistes à sa candidature, ainsi que le rejet des pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite]. Dans ce contexte, souligne Iacovelli, « une troisième voie pourrait se dégager avec le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, qui pourrait être une alternative ». En tout état de cause, « le désespoir est interdit » selon le sénateur.

La France ne lâchera pas le Liban

En visite à l’évêque catholique melkite de Zahlé, le 21 février, l’ambassadrice de France au Liban Anne Grillo a confirmé les propos de M. Iacovelli. Après son entretien avec le Prélat, elle a déclaré : « je veux que vous sachiez que la France ne vous abandonnera jamais. Sur décision personnelle du président Macron, la France ne laissera pas le Liban se détruire. Sachez que la France est aux côtés du Liban. Malheureusement, le pays est dans une mauvaise passe et nous espérons que les Libanais s’unissent pour redresser leur pays avec l’appui de la France et des pays amis ». Madame Grillo doit délivrer le même message d’espoir au chef de l’Église maronite, Bechara Raï, lors de sa visite au Patriarcat de Bkerké ce mercredi 22 février. Pourvu que le Patriarche se ressaisisse, qu’il quitte la zone grise, qu’il reprenne le rôle de l’Eglise dans la fondation et la sauvegarde du Liban, et qu’il tranche en faveur d’un président souverainiste.

Dario S.

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