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Le régime iranien ne parvient pas à intimider les contestataires

Les manifestations contre l’obligation du port du voile islamique pour les femmes lancées il y a six semaines continuent de plus belle en Iran. Le régime a pourtant mis en demeure, samedi, les manifestants.

Les contestataires ne se laissent pas intimider par les menaces du régime. Les manifestations continuent, chaque jour, en Iran, malgré l’avertissement des Gardiens de la révolution, le bras armé du régime. Leur chef, le général Hossein Salami, avait proclamé samedi que ce jour-là serait « le dernier de la contestation », tandis que s’ouvrait le procès de cinq manifestants qui risquent la peine de mort.

La révolte ne faiblit pourtant pas, aux cris de « femme, vie, liberté », mais aussi désormais de « mort à la dictature », six semaines après que la mort de Mahsa Amini a mis le feu aux poudres. Cette jeune Kurde iranienne avait été arrêtée et tabassée par la police des mœurs pour avoir porté de manière désinvolte le voile islamique, obligatoire pour les femmes depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs en 1979.

Un défi quasi sans précédent aux mollahs

Les étudiants et lycéens, voire les écoliers, comme l’illustrent des vidéos de jeunes filles défiant les forces de l’ordre, ont été rejoints par nombre d’adultes, même si le cœur des rassemblements reste les universités et écoles. Les cours sont interrompus dans la plupart des établissements d’enseignement. Des commerces et des banques sont fermés. En revanche, les grèves amorcées il y a deux semaines dans divers secteurs économiques, notamment celui, crucial, des hydrocarbures, ne semblent pas s’étendre.

Le mouvement de protestation initié par les jeunes (55 % des 86 millions d’Iraniens ont moins de trente ans) s’est étendu à toutes les couches de la société iranienne. Cette véritable ébauche de révolution est « très différente des précédentes vagues de contestation », souligne Mandana Darwish, représentante d’un collectif de femmes iraniennes.

Celles de 2018 et 2020 étaient motivées par des revendications socio-économiques (inflation, corruption, indigence des services publics), alors que l’actuelle s’attaque à la clé de voûte doctrinale du régime des mollahs, le port obligatoire du voile. On ne voit pas comment les innombrables femmes qui défilent désormais tête nue et ont brûlé leur voile pourraient rentrer dans le rang. Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) estime même que « pour la première fois la question de la chute du régime, en déficit d’autorité et de légitimité, est posée ».

Répression accrue à prévoir

Le pouvoir ne s’y est pas trompé, puisqu’il n’hésite pas à faire tirer à balles réelles sur les foules et à déployer des blindés. La répression des manifestations a fait au moins 160 morts, selon un bilan établi vendredi par l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo.

De même source, ​des milliers de personnes ont été arrêtées depuis le début de la répression, une trentaine de journalistes (dont un collaborateur d’Arte et un du « Wall Street Journal »), des étudiants, des avocats et 500 militants de la société civile.

L’Europe envisage de s’attaquer aux Pasdarans

Cette répression a poussé d’ailleurs l’Allemagne et l’Union européenne à annoncer, lundi, qu’elles envisagent de classer les Gardiens de la révolution comme une organisation terroriste. Même si cela aurait peu de conséquences concrètes, les Pasdarans disposant de peu d’actifs identifiés en Europe pouvant être saisis, cela constituerait un camouflet pour le régime.

« Les contestataires comme les sécuritaires de la République islamique apparaissent déterminés à ne rien céder, dans une situation qui rappelle les débuts de la guerre civile en Syrie, ajoute Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. Le régime pourrait aussi laisser s’armer les minorités ethniques et sunnites pour justifier le passage à une réponse militaire, et le basculement dans une guerre civile. »

Même si la décision de réprimer sans limites a été prise, « reste à savoir si elle sera appliquée par soldats et policiers du rang », pointe Clément Therme, malgré la hausse récente de 20 % de leur salaire, un signe de faiblesse du régime, selon lui. En tout cas, « l’onde de choc des événements en cours en Iran promet d’être massive », résume Antoine Basbous.

Par Yves Bourdillon. (Les Echos)

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