Après un an d’impasse politique et maintes épreuves de force, l’Irak a enfin jeudi un président et un Premier ministre désigné, même si les tirs de roquettes le jour même à Bagdad viennent illustrer la persistance des fortes tensions.
Le Parlement, qui siège dans la Zone verte à Bagdad, a élu un nouveau président de la République, optant pour un candidat de compromis en la personne d’Abdel Latif Rachid, ancien ministre Kurde de 78 ans versé dans les questions environnementales.
Dans la foulée, le chef de l’Etat a chargé Mohamed Chia al-Soudani de former un nouveau gouvernement. Plusieurs fois ministre et issu comme le veut la tradition de la communauté chiite majoritaire en Irak, le politicien de 52 ans a 30 jours selon la Constitution pour former son cabinet.
S’exprimant devant les journalistes au Parlement, M. Soudani a espéré former son équipe « le plus rapidement possible ».
Il est le candidat des factions pro-Iran du Cadre de coordination, qui dominent l’Assemblée et cherchent à accélérer le calendrier politique, après plus d’un an de paralysie totale dans un pays profondément polarisé.
Depuis les législatives d’octobre 2021, les barons de la politique n’avaient pas réussi à s’entendre sur un nouveau président, ni à désigner un Premier ministre.
En filigrane transparaissent les luttes d’influence entre les deux pôles chiites se disputant le pouvoir: les factions pro-Iran du Cadre de coordination et l’imprévisible chef religieux Moqtada Sadr.
Réaction de Sadr ?
Illustrant les tensions, neuf roquettes de type Katioucha se sont abattues sur la Zone verte, secteur abritant le Parlement et autres institutions gouvernementales et ambassades. Un projectile est tombé près de l’Assemblée.
Ces tirs, qui n’ont pas été revendiqués, ont fait 10 blessées, quatre civils atteints lors de la chute d’une roquette sur un quartier limitrophe de la Zone verte et six membres des forces de l’ordre ou des gardes assurant la sécurité des députés, selon un responsable.
« De telles attaques sapent la démocratie et piègent l’Irak dans un cycle de violence perpétuel », a déploré l’ambassadrice américaine à Bagdad Alina L. Romanowski.
Mais ces violences n’ont pas empêché le président d’Irak, fonction largement honorifique traditionnellement réservée à l’importante minorité kurde, d’être élu après trois tentatives infructueuses cette année.
A l’issue du second tour, l’ex-ministre des Ressources hydriques Abdel Latif Rachid, qui fait partie de la vieille garde de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), l’a remporté avec plus de 160 voix face au président sortant Barham Saleh (99).
Saluant cette « étape démocratique importante », l’ambassade de France en Irak a appelé à « la formation d’un gouvernement qui mette tout en œuvre pour répondre aux demandes légitimes du peuple irakien ».
Reste à savoir quelle sera la réaction de M. Sadr, qui réclamait ces derniers mois une dissolution du Parlement et des législatives anticipées.
Il a démontré ces derniers mois sa capacité à déstabiliser l’échiquier politique en mobilisant des dizaines de milliers de manifestants.
En juillet, une première candidature de Mohamed Chia al-Soudani au poste de Premier ministre avait mis le feu aux poudres entre les deux camps.
L’épreuve de force a atteint son paroxysme le 29 août, quand plus de 30 partisans sadristes ont été tués dans des affrontements contre l’armée et les forces du Hachd al-Chaabi, intégrées aux troupes régulières.
Interrogé par l’AFP sur la réaction des Sadristes, le politologue Ali al-Baidar n’a pas exclu « l’escalade », mais a dit pencher en faveur « d’un feu vert du Courant sadriste en échange d’un certain nombre de ministères ».
« C’est notre contribution »
Dans un Irak multiconfessionnel et multiethnique, les partis politiques de la communauté chiite dominent le pouvoir depuis l’invasion américaine qui renversa Saddam Hussein en 2003.
Après la démission surprise en juin des 73 députés du Courant sadriste, le Cadre de coalition est devenu le premier bloc au Parlement avec 138 députés, selon un responsable de la coalition Ahmed al-Assadi.
L’alliance regroupe les ex-paramilitaires du Hachd al-Chaabi et l’ex-Premier ministre Nouri al-Maliki, rival historique de Moqtada Sadr.
La présidence a été l’une des pierres d’achoppement paralysant la vie politique en Irak. Le poste revient généralement à l’UPK, tandis que l’autre grand parti kurde, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) garde la haute main sur les affaires du Kurdistan autonome (nord).
Le PDK avait exigé la présidence à Bagdad. Mais il a finalement voté pour Abdel Latif Rachid, a indiqué à l’AFP un responsable du parti, Bangen Rekani.
« Nous avons accepté le candidat de compromis, c’est notre contribution pour sortir de l’impasse », a-t-il dit.