Iran: des protestations de plus en plus étendues traversant les ethnies et les classes sociales, sapent les fondements du régime

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(Rome, Paris, 06 octobre 2022). Ayant commencé le 17 septembre dans la province du Kurdistan iranien pour dénoncer la mort de Mahsa Amini, les manifestations ont impliqué plus de 130 villes, faisant au moins 154 morts et plus de 1.500 arrestations

Depuis 19 jours, l’Iran est le théâtre d’une vague de protestations qui transcendent les classes sociales et les groupes ethniques, avec des manifestations qui se succèdent du nord au sud, d’est en ouest dans une revendication unanime de plus grandes libertés économiques et sociales, qui connaît également des épisodes de solidarité de la part des membres des forces de sécurité, conduisant la République islamique à faire face à l’une des crises les plus graves depuis sa naissance en 1979. Entamées le 17 septembre dans la province du Kurdistan iranien pour dénoncer la mort de Mahsa Amini , décédée le 16 septembre à Téhéran après son arrestation par la police des mœurs iranienne, les manifestations ont touché plus de 130 villes, malgré une répression de plus en plus intense par les forces de sécurité faisant au moins 154 morts selon l’organisation basée à Oslo Iran Human Rights, et plus de 1.500 arrestations. Depuis lundi, les manifestations impliquent également les lycées caractérisés par la séparation filles-garçons, avec des vidéos diffusées en ligne montrant des adolescentes protestant contre leurs propres chefs d’établissement.

« Ces manifestations sont différentes de celles vues par le passé », a déclaré à l’agence italienne «Nova News» l’analyste géopolitique d’origine iranienne, Nima Baheli, notant que dans les vagues précédentes – 2009, 2018, 2021 – il y avait des cas spécifiques liés à des problèmes individuels impliquant certaines couches de la population, comme ce fut le cas lors des manifestations pour la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad qui ont vu une prévalence de la classe moyenne. « Celles auxquelles nous assistons partent de revendications pour plus de liberté économique et de coutumes, unissant les femmes et les hommes, davantage de groupes économiques, y compris les plus humbles, et des parties de la population liées au système de la République islamique », souligne l’analyste.

Selon Baheli, les manifestations ont également vu la présence du «peuple», en fait elles ne se sont pas limitées à des composantes particulières, mais ont également impliqué les provinces kurdes, azerbaïdjanaises et arabophones « sans l’émergence d’instances indépendantistes, montrant un soutien à une adhésion iranienne aux revendications pour une plus grande liberté économique et sociale ». Sur le fond, les Gardiens de la révolution iranienne ont tenté d’attribuer les manifestations au Parti démocratique kurde d’Iran (Kurdistan Democratic Party of Iran, Kdpi), compte tenu de l’ethnie kurde de Mahsa Amini, avec des attaques dans la région autonome de Kurdistan irakien, « mais les faits montrent que cette lecture est au moins minoritaire », observe l’analyste.

La transversalité du mouvement de protestation et par ses revendications, influencerait également les membres des forces de sécurité. Selon des sources citées par les médias proches de l’opposition et par la chaine panarabe « Al Arabiya », au moins cinq membres parmi les gardiens de la révolution iraniens (pasdaran), les basij (milices paramilitaires pour la sécurité intérieure) et les forces armées se seraient solidarisés avec des manifestants. Bien qu’il n’y ait aucune confirmation officielle à cet égard, Baheli souligne que ces épisodes peuvent être attribués à la structure des forces de sécurité, les Pasdaran étant liées aux forces armées, qui voient des différences par rapport au cadre central de direction en termes de rang, de situation géographique et personnelle.

« Puisqu’il s’agit de manifestations qui touchent diverses parties du pays, impliquant de grandes villes et des villages, il se peut que la direction locale ne soit pas aussi extrémiste qu’elle pourrait l’être à Téhéran », note l’analyste. Il existe aussi des différences quant aux grades des différents fonctionnaires et à leur âge chronologique (en Iran l’âge moyen est de 32 ans), avec des jeunes militaires pas forcément idéologisés qui pourraient partager des exigences de plus grande liberté. A cet égard, l’analyste cite le cas de Hadis Najafi, la jeune femme de 23 ans devenue un symbole des protestations contre le voile, tuée le 24 septembre dernier par six coups de feu lors des manifestations à Karaj, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Téhéran. Selon plusieurs témoins, la jeune femme a été tuée par un officier des forces de sécurité, dont le nom est connu du gouvernement, qui aurait agi après que ses subordonnés aient refusé de tirer sur la jeune fille.

L’ampleur des protestations survient à un moment de grande faiblesse pour le pays sur le plan économique, sociale et politique, qui, en raison des sanctions internationales, le système est devenu de plus en plus corrompu et replié sur lui-même. A tout cela s’ajoutent un guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 83 ans, sur lequel planent des rumeurs d’état de santé critique depuis son ascension en 1989, et un gouvernement extrémiste comme celui dirigé par Ebrahim Raïssi qui a donné un nouveau souffle à des entités telles que «Gast-e ersad», la police morale iranienne, par rapport à ses prédécesseurs, Mahmoud Ahmadinejad et Hassan Rohani. Comme le note Baheli, les dirigeants iraniens eux-mêmes sont conscients de la situation précaire du système fortement touché par la pandémie de Covid-19, de l’état de corruption et des catastrophes environnementales. « Le gouvernement et le système de la République islamique n’ont jamais été aussi faibles, même pas lors de la guerre contre l’Irak, lorsqu’il y avait encore la ferveur révolutionnaire qui est aujourd’hui très diluée », explique l’analyste.

Pour Baheli, au cours des 10 à 15 dernières années, le système s’est refermé sur lui-même, évinçant progressivement diverses parties internes du système. Les exemples sont multiples et vont de l’éviction des réformateurs représentés par l’ancien premier ministre Mir-Hossein Moussawi, l’un des défenseurs de la République islamique, en prison depuis 2009, aux soi-disant « conservateurs pragmatiques » qui ont dirigé le pays avec le président Hassan Rohani, sur lequel pèse l’échec de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), en passant par d’autres personnalités proches du guide suprême mais exclues de la direction comme l’ancien président du parlement et conseiller de Khamenei, Ali Larijani, qui s’est vu interdire de se présenter aux élections présidentielles de 2021.

Depuis 2018, année du retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, l’Iran fait face à une grave crise économique qui s’est encore aggravée avec la pandémie de Covid-19 entre 2020 et 2021, qui a également entraîné l’effondrement des prix du pétrole, l’une des principales recettes économiques du pays, qu’il parvient à exporter, notamment vers l’Asie, malgré les sanctions internationales. Entre 2018 et 2020, l’économie iranienne s’est contractée d’environ 12 %, tandis que le nombre d’Iraniens pauvres est passé de 22 à plus de 30 millions selon les estimations du ministère iranien des Coopératives. La classe moyenne iranienne, colonne vertébrale du mouvement démocratique du pays, est passée de 45 % à 30 % de la population.

La crise liée au Covid et les nouvelles perturbations internationales dues à la guerre en Ukraine provoquée par la Russie, ont eu des conséquences sur le taux d’inflation annuel qui est passé à 41,5% en août, tandis que l’inflation mensuelle selon les données rapportées par le Centre iranien des statistiques, a atteint 52,2 %. Selon les données publiées par le journal économique « Financial Tribune », le taux de chômage des jeunes iraniens âgés de 15 à 24 ans s’élevait à 24 % au premier trimestre de l’année en cours (21 mars 2022 – 21 juin 2022), enregistrant une augmentation de 1,9 % en glissement annuel. En revanche, le taux des jeunes (âgés entre 18 et 35 ans) s’est plutôt établi à 16,6 %, en hausse par rapport à la même période en 2021. Globalement, le taux de chômage s’est établi à 9,2 % au premier trimestre (printemps), indiquant une augmentation de 0,4 % en glissement annuel.