Russie: la déception et la colère du parti de la guerre, «mauvaise préparation»

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(Rome, Paris, 12 septembre 2022). Des véhicules russes abandonnés dans la région de Kharkiv lors de la contre-offensive de l’armée ukrainienne (AFP). Improvisation et frivolité, le retrait russe d’Izyum embarrasse les faucons, entre ceux qui demandent des explications et ceux qui réclament une main de fer pour gagner. (Par: Paolo Brera – La Repubblica)

A Moscou, il n’y en a aucune mention, un silence, et pourtant, ça dérive. Sur Telegram et sur les réseaux sociaux : le « parti de la guerre » russe est choqué, déçu et en colère. L’opération spéciale, qui avançait déjà péniblement, sent maintenant la défaite. Le retrait chaotique d’Izjum a brisé les certitudes et, pour la première fois depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, même les nationalistes russes commencent à montrer des signes de nervosité, à siffler des accusations, comme rapporté par «Radio Maria», faisant référence à l’article de Paolo Brera dans les colonnes du quotidien italien «La Repubblica».

Même le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, l’allié de fer du président Vladimir Poutine dont les hommes ont passé à Marioupol au fil de l’épée après y avoir mis le feu , a publié un message audio sur Telegram dans lequel il critiquait sévèrement les dirigeants des forces armées : « Si la Russie avait voulu, elle aurait pu leur ordonner de ne pas battre en retraite quelque soit le prix à payer. Ils doivent expliquer les raisons de cette décision qu’ils ont prises. Je vois que leurs hommes n’étaient pas bien préparés », accuse-t-il. « Si des changements ne sont pas apportés immédiatement à la conduite de l’opération militaire spéciale, dit-il encore dans son message audio qui dure 11 minutes, je serai obligé de parler aux dirigeants du ministère de la Défense et du pays, pour expliquer la situation sur le terrain ».

Les Russes fuyant le front de l’Est, Kiev reprend Izyum

Plus sévère encore, est « Strelkov », l’ancien colonel des services de sécurité russes Igor Girkin qui en 2014 a enlevé son uniforme et a dirigé les opérations dans le Donbass en tant que chef militaire des pro-russes du Donetsk: l’effondrement et le retrait dans la région de Kharkiv, dit-il, rappellent la défaite catastrophique de 1905 contre les Japonais lors de la bataille de Moukden qui a fini par déclencher la Révolution russe. Et non, il ne mâche pas ses mots dans sa critique subtile : le ministre de la Défense Choïgou est « le maréchal en carton », dit-il, et la Russie devra se préparer à une défaite retentissante et brutale si elle ne déclare pas une mobilisation nationale.

Les troupes russes en déroute à Izyum, alors pour Moscou, des mois de combats partent en fumée

« Ils se moquent de nous, nous sommes pris pour des imbéciles », écrit le blogueur militaire Rybar sur Telegram. Lui qui, jusqu’à hier, soutenait sans hésiter les raisons de la guerre et de l’invasion, s’insurge aujourd’hui au silence obstiné avec lequel le Kremlin, la Défense et les institutions russes ont évité d’évoquer les troubles dans le Nord-Est ukrainien, deuxième vraie défaite après l’échec de l’avancée vers Kiev en février. Il aura fallu deux jours pour que le ministère de la Défense, faisant son point habituel sur le déroulement militaire de l’opération spéciale, laisse apparaître la défaite sur la carte tout en réitérant, avec un vernis idéologique de propagande, les morts infligées aux soldats ukrainiens: « Ce n’est pas le moment de se taire, cela nuit gravement à la cause », proteste Rybar.

Même chez les correspondants de guerre les plus proches du Kremlin comme Semjon Pegov, parmi d’autres blogueurs et les militaires les plus suivis sur les réseaux sociaux, l’accablement est évident, parfois même des critiques ouvertes à l’encontre du sommet de la Défense pour avoir gardé le silence et minimisé l’ampleur de ce qu’il s’est passé dans la région de Kharkiv : « Soit une nouvelle élite politique naît en Russie, soit elle cessera d’exister », dit Pegov, brandissant comme un « blasphème » la célébration pompeuse de l’anniversaire de la fondation de Moscou alors qu’au front, on meurt et on mène un combat en retraite.

Dans le soi-disant « parti de la guerre » russe, le « parti Z », qui, depuis le 24 février, incite le Kremlin à conquérir l’Ukraine pour la punir des « crimes commis depuis 2014 contre les pro-russes dans le Donbass », se trouvent aujourd’hui ceux qui écument de colère, de rage et de désaprobation. « Les autorités russes prennent les opérations militaires avec frivolité. Il faut plus de fermeté. La chute de Balakleja est la preuve qu’il faut beaucoup plus de soldats au front », écrit Serghej Markov, ancien proche conseiller de Poutine. « Si vous ne voulez pas vous mettre en colère, ne lisez pas les informations aujourd’hui », déclare l’écrivain et vétéran Zakhar Prilepin. « Camarades, arrêtez de paniquer et de chercher un coupable. Il est maintenant temps de stabiliser le front, et les plaintes de type « oh, tout va mal » n’aident en rien », a retweeté la directrice en chef de RT Margarita Simonyan.

Mais parmi les nationalistes, il y a aussi ceux qui vont droit au but comme l’ancien président Dmitri Medvedev, aujourd’hui vice-président du Conseil de sécurité russe : « Tous les objectifs qui ont été fixés par le président de notre pays, le commandant suprême en chef, seront atteint lors de cette opération », assure-t-il.

Son chef suprême, qui rencontrera dans quelques jours à Samarcande le président chinois Xi Jimping en tête-à-tête, a eu hier une conversation téléphonique avec le Président Français Emmanuel Macron qui l’a appelé pour lui demander de mettre fin à son « opération spéciale » et de retirer les troupes de la centrale de Zaporizhzhia : il lui a répondu de persuader Kiev de cesser d’attaquer la centrale électrique et de cesser d’utiliser des armes occidentales contre des infrastructures civiles dans le Donbass. Le ministre des Affaires étrangères, Serghej Lavrov, a quant à lui fait état d’une éventuelle négociation de paix : Poutine a déclaré à la Douma que « nous ne sommes pas contre, mais Kiev devrait comprendre que plus le processus tarde, plus il sera difficile de négocier avec nous ».