Moscou change sa stratégie de communication: l’Occident est désormais averti

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(Paris, 20 août 2022). Comme, et plus que tout autre conflit contemporain, celui qui oppose la Russie à l’Ukraine est aussi une guerre de propagande. La teneur des propos et des accusations n’a pas toujours été la même au cours des six derniers mois, suivant une tendance sous forme de schizophrénie. Depuis les tons énergiques et audacieux des premières lignes, Moscou semble avoir changé de stratégie, notamment face à une résistance ukrainienne inattendue. Les plans de communication se sont trop souvent chevauchés, avec les voix mêlées de Vladimir Poutine, de Sergueï Lavrov et des sphinx Choïgou et Gerasimov. Ensuite, l’annonce de la « réorganisation » dans le Donbass, qui a été suivie d’une communication plus modérée, en raison des résultats incertains sur le terrain, comme le rapporte dans son analyse Francesca Salvatore, du quotidien italien «Inside Over».

Medvedev joue le rôle de faucon

Au milieu de cette tempête, est réapparu Dimitri Medvedev, l’homme que l’Occident appréciait, qui, oubliant ses hamburgers avec Barack Obama, au début de l’été, a commencé avec une étonnante assurance, à s’exprimer au son des « salauds et maladroits », assurant que « tant que je serai en vie, je ferai tout pour les faire disparaître », critiquant les sanctions anti-russes les qualifiant d’«illégitimes» contre les familles des politiciens, les comparant aux méthodes de la mafia et citant la ‘Ndrangheta et la Cosa Nostra. Revêtir la cuirasse du faucon pour s’assurer d’un avenir décent, peut-être….

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Ces derniers jours, il a mené une nouvelle attaque fulgurante, entrant dans les campagnes électorales, invitant les Européens à « punir » leurs « gouvernements idiots » dans les urnes. Ce n’est certainement pas la première sortie du genre, étant donné qu’il avait déjà par le passé exulté sur les crises gouvernementales au Royaume-Uni et en Italie, en raison de la mise à l’écart de Johnson et Draghi.

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Cette fois, le faucon va plus loin, il s’adresse directement aux électeurs européens : « Nous aimerions voir les citoyens européens non seulement exprimer leur mécontentement face aux actions de leurs gouvernements, mais aussi dire quelque chose de plus cohérent. Par exemple, qu’ils leur demandent des comptes, les punissant dans les urnes pour leur « stupidité évidente ». Et il le fait – sans surprise – sur Telegram, son canal préféré, mais surtout inventé par un Russe (créée en 2013 par les frères Nikolaï et Pavel Dourov, fondateurs de VKontakte, le réseau social dominant en Russie). Et agissant en père de la nation du siècle dernier, il distribue des conseils électoraux en prévision de l’hiver : « Alors agissez, voisins européens ! Ne restez pas silencieux. Appelez vos idiots à rendre des comptes. Et nous vous écouterons. L’avantage est évident : l’hiver sera bien plus chaud et plus confortable en compagnie de la Russie que dans un splendide isolement avec le poêle éteint ». « Des bulletins de vote pour le gaz », aurait-on dit autrefois.

Le changement de Lavrov

Même fulgurance pour Sergueï Lavrov qui, après tout, n’a jamais déplu à l’homologue occidental, et que plus d’un, le voyaient comme plus calme que Poutine. Mais Lavrov était et reste l’homme de Poutine, et donc un revirement agressif était plus qu’une évidence. L’abandon de la réunion du G20 le 8 juillet, après avoir déclaré à ses homologues que l’invasion russe de l’Ukraine n’était pas responsable de la crise mondiale et que les sanctions destinées à isoler la Russie équivalaient à une déclaration de guerre, a été le baptême de cette nouvelle vague de communication. C’était au tour de Lavrov, il y a environ un mois, d’annoncer sur RIA Novosti et RT que la géographie du conflit avait changé et que Moscou élargissait ses plans militaires en Ukraine et visait à contrôler seize régions entières du sud. La dose s’est encore accrue, par l’adoption du style oratoire de son patron : réaffirmant la nécessité d’un changement de direction à Kiev ; des accusations contre l’Occident coupable d’avoir « affamé » le monde entier en déclenchant une crise alimentaire mondiale ; l’obsession métahistorique du rêve « Russes et Ukrainiens continueront à vivre ensemble » au nom de l’éternel usage et de l’abus pérennes de l’histoire dont Moscou se nourrit. A cela s’est ajouté, peu après, la charge de la tournée africaine pour proposer, ou plutôt re-proposer, le mythe de la Russie tiers-mondiste mis en place avec le portrait impérialiste de l’Occident. Tout cela ressemblait quasiment à un nouveau baptême diplomatique pour celui dont nombreux croyaient être un nouveau Gromyko « avec ses vêtements italiens et son « niet » compulsif.

 Patrushev et « l’arrière-cour russe »

Un autre homme silencieux, sorti de l’oubli, est Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie depuis 2008. En plus de répandre la vulgate russe des faits, selon laquelle « les pays occidentaux ne cessent de se préparer à un conflit armé à grande échelle avec la Russie », le silovik (un silovik est un représentant d’organismes étatiques chargés de veiller à l’application de la loi, d’organismes de renseignements, des forces armées et autres structures auxquels l’État délègue son droit d’utiliser la force : un «Etat profond») en acier est revenu sur un thème très délicat, celui de l’arrière-cour de la Russie. S’exprimant depuis Tachkent, à l’occasion de la 17e réunion annuelle des secrétaires des Conseils de sécurité des pays de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), Patrouchev revient sur ce qui s’est passé en Biélorussie en 2020, en janvier au Kazakhstan et en juillet en Karakalpakstan, Ouzbékistan, des événements qualifiés de « résultat des tentatives occidentales d’organiser des « révolutions de couleur » en Asie centrale ». Huit pays en sont membres : la Chine, la Russie, l’Inde, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Pakistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. La Biélorussie, l’Iran, l’Afghanistan et la Mongolie en font partie en tant qu’observateurs, tandis que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Cambodge, le Népal, le Sri Lanka et la Turquie sont des « partenaires de dialogue ». Les déclarations de Patrushev, rapportées par Tass, indiquent qu’un nombre sans précédent de pays demandent à rejoindre l’OCS, signe d’une « contribution significative à la construction d’un nouvel ordre mondial équitable et multipolaire ».

Enfin, la communication la plus énigmatique de toutes : celle de Vladimir Poutine. Tout en restant cohérent dans son combat pour la Russie, le chef du Kremlin a choisi ces dernières semaines de faire pencher totalement la balance du côté des États-Unis : pour Moscou, ce sont et ce seront uniquement les États-Unis qui entraîneront la guerre au bord du précipice. Cependant, même si les tonalités restent plus amers que jamais, le gouvernement russe se serait déclaré prêt à travailler sur une rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, a rapporté la chaine turque CNN, qui cite des sources gouvernementales à Ankara, selon lesquelles Moscou aurait changé de position sur les négociations entre les deux dirigeants et aurait assoupli ses conditions. Pourquoi maintenant ? Pourquoi trianguler l’actualité via Ankara ? S’agit-il d’un choix de communication très spécifique. Et diplomatique ? Peut-être.