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Le jeu du pétrole russe. L’or noir de Poutine peut être décisif

(Rome, 18 août 2022). Le sort de la guerre en Ukraine et la capacité de la Russie à résister aux conséquences économiques dues au conflit et aux sanctions occidentales passent aussi par le pétrole. L’or noir de Moscou a longtemps été mis à l’écart par rapport au grand dossier énergétique russe, qui a été principalement (et nécessairement) lié aux grands gisements gaziers aux mains du Kremlin et au pouvoir de négociation qui en découle vis-à-vis de l’Europe. Mais le pétrole, bien que considéré comme presque secondaire dans la logique internationale, assume un rôle qu’il ne faut pas sous-estimer et qui peut affecter significativement le jeu de Vladimir Poutine dans cette période complexe de l’histoire russe et de son leadership ayant commencé avec la décision d’envahir l’Ukraine.

Pour une puissance qui fonde son économie sur l’exportation d’hydrocarbures, le prix de ces derniers est un élément central de son agenda stratégique. L’interaction entre l’offre et la demande et l’équilibre des prix qui en résulte est peut-être une clé essentielle pour comprendre la dynamique politique mais aussi les décisions prises par un gouvernement. La Russie s’inscrit parfaitement dans ce schéma et c’est aussi pour cette raison que l’évolution du prix du pétrole peut constituer un test décisif important pour le présent et l’avenir de Moscou, nous explique Lorenzo Vita dans son analyse dans le quotidien italien «Inside Over».

Certaines données plus récentes donnent matière à réflexion. Le quotidien «Il Foglio» rapporte, par exemple, comment les contrats à terme sur le pétrole ont chuté pendant quelques jours « après que les données économiques publiées lundi, aient ajouté des inquiétudes concernant un ralentissement chinois aux craintes d’une récession européenne, confirmant la baisse des prix liée aux perspectives économiques mondiales ». La question est également fondamentale pour Poutine, car si la baisse des prix devient constante, cela implique un changement de cap également pour les caisses de son pays, ancrées dans l’exportation de matières premières et d’énergie. Pour l’heure, les effets les plus incisifs de l’embargo de l’UE sur le pétrole russe n’ont pas encore été enregistrés, puisque les sanctions entreront en vigueur à des moments différents et de manière à éviter un arrêt total. Par ailleurs, et c’est un point tout aussi important, la Russie a su exploiter l’importante demande des géants asiatiques, notamment la Chine et l’Inde, parvenant, d’une manière ou d’une autre, à réaffecter le pétrole invendu à des clients, certes très exigeants, mais à des prix favorables.

Cependant, cette situation ne semble pas être tenable sur une très longue période pour deux raisons. Fondamentalement, il s’agit d’un problème purement économique pour lequel un rabais sur l’énergie accordé aux pays asiatiques ne peut avoir de sens qu’en période de prix mondiaux élevés. Dans le cas de nouvelle baisse, il est clair qu’un exportateur ne peut confirmer un prix favorable, ce qui risque d’entrainer des recettes trop faibles. En outre, le marché du pétrole semble incertain, tant en raison de l’avenir de l’embargo de l’UE, qui, selon certains analystes, réduira la production russe de plus d’un million de barils par jour, que du ralentissement de l’économie mondiale et du fait que les pays asiatiques eux-mêmes ont «engrangé», autant qu’ils le pouvaient en exploitant la guerre. Mais cette chasse aux barils de pétrole russe pourrait se ralentir à la fois par l’Inde et la Chine. Enfin, selon une analyse de Bloomberg, le scénario hivernal semble être différent de celui de l’été, notamment parce que l’on imagine que la réaction interne des raffineries russes pour combler les achats externes manquants, ne pourra se poursuivre au cours des saisons suivantes. Et surtout, il ne peut se substituer aux achats des pays européens. L’impression est que plusieurs éléments dépendront de la façon dont les sanctions européennes sur l’or noir interviendront, Moscou espérant probablement une remise en question de l’UE en vertu de l’augmentation des prix du gaz.

En ce moment, pour le Kremlin et ses géants des hydrocarbures, il s’agit donc de parier sur la clientèle asiatique et sur un changement de cap (bien qu’il ne soit pas total) de l’Europe sur le front des sanctions. Comme l’écrit l’agence italienne «AGI», la Russie augmente en tout cas ses prévisions de production et d’exportation de pétrole en misant sur les acheteurs asiatiques. Et la demande chinoise et indienne a également soutenu, pour l’heure, la reprise des prix.

Mais à cet égard, l’hypothèse d’un voyage du dirigeant chinois Xi Jinping en Arabie saoudite qui, selon certains médias ne serait qu’une question de jours, ne doit pas être sous-estimée. Selon une source citée par le «Jerusalem Post», la visite « verra la signature de multiples accords économiques sur un certain nombre d’atouts, notamment l’énergie et la sécurité alimentaire ». Depuis quelque temps, on parle d’une éventuelle utilisation de la monnaie chinoise et non plus du dollar dans les transactions pétrolières entre Pékin et Riyad, et sont nombreux les observateurs qui soulignent que cette visite pourrait être davantage un signal à Washington qu’à Moscou. Le ministère chinois des Affaires étrangères, du moins jusqu’à la semaine dernière, n’a pas confirmé (ni infirmé) les rumeurs quant au voyage de Xi, notamment parce que, depuis janvier 2020, le président de la République populaire n’a pas quitté son pays. Toutefois, il est clair qu’un engagement plus important de l’Arabie saoudite dans l’approvisionnement en pétrole de la Chine pourrait également intéresser la Russie, notamment dans l’éventualité d’une activation totale ou renouvelée de l’embargo européen.

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