Au Liban, le péché d’orgueil d’Emmanuel Macron

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(Rome, 04 août 2022). Au lendemain de l’explosion survenue à Beyrouth le 6 août 2020, le président français avait beaucoup promis au peuple libanais. Deux ans plus tard, sa rhétorique enflammée s’est échouée sur la résistance des caciques locaux et la faiblesse des moyens mis en œuvre pour les sanctionner.

Les images sont entrées instantanément dans le livre d’or de la relation France-Liban. C’était il y a deux ans, le 6 août 2020, dans un Beyrouth maculé de sang et de poussière, quarante-huit heures après la méga-explosion survenue dans le port de la capitale libanaise.

Tout juste débarqué de son Falcon, Emmanuel Macron avait tombé la veste, remonté les manches de sa chemise, et, dans le quartier de Gemmayzé, à 200 mètres de l’épicentre du cataclysme libanais, sous les balcons à arcades vacillants des vieilles maisons ottomanes, il avait harangué la foule. « Je comprends votre colère, avait-il déclaré avec des accents gaulliens. Je ne suis pas là pour cautionner le régime, je suis là pour vous aider en tant que peuple, pour proposer un nouveau pacte politique. Vive le Liban ! »

La scène était calibrée pour les réseaux sociaux. Le jeune président, plongé dans la mêlée, réclamait une enquête internationale, à l’unisson du petit peuple beyrouthin, venu lui présenter ses doléances. Difficile de concevoir spectacle plus dérangeant pour les caciques libanais, retranchés dans leurs bureaux, emmurés dans le déni d’un système mafieux dont le cataclysme du 4 août est le produit dérivé.

Le contraste devait les inciter à rendre les armes. Mais il n’en a rien été. Pourtant malmenés par le soulèvement de l’automne 2019 et les manifestations post-explosion, les barons communautaires ont résisté pied à pied aux demandes de réformes de l’Elysée, condition sine qua non au redressement financier du pays. Minée par les manœuvres dilatoires des inculpés et le travail de sape de la vieille classe dirigeante arc-boutée sur son impunité, l’enquête judiciaire sur les causes de l’explosion semble en voie d’être enterrée. Les élections législatives du mois de mai ont fini de remettre en selle la clique au pouvoir depuis trois décennies.

La faute d’Emmanuel Macron est d’être resté au milieu du gué, d’en avoir trop dit et trop peu fait. D’un côté, le président a usé d’une rhétorique enflammée : « profiteurs », « rente », « système crapuleux », « jeu mortifère de la corruption », « trahison collective », etc. De l’autre, ses actes n’ont jamais atteint la puissance de son verbe, suscitant des attentes qu’il ne pouvait que décevoir et donnant l’impression d’assener des leçons de morale qui tournent à vide.

Signe éloquent, le chef de l’Etat a toujours rechigné à mettre ses menaces de sanctions en application, sinon pour ce qui est des seconds couteaux. Un an après avoir adopté l’arsenal juridique lui permettant de pénaliser des personnalités libanaises, l’Union européenne n’a toujours placé aucun nom sur sa liste noire. Emmanuel Macron persiste à vouloir parler aux Libanais comme s’il était leur ami, faisant mine d’ignorer les intérêts politiques qui guident inévitablement son attitude.

On le voit aujourd’hui à sa réticence à demander au Conseil des droits de l’homme de l’ONU la mise en place d’une commission d’enquête sur le crime du 4 août. Ou bien à l’étrange attitude des douanes françaises. En juin 2021, celles-ci se sont contentées d’imposer 2.700 euros d’amende à Riad Salamé, le gouverneur de la banque centrale libanaise, surpris à l’aéroport du Bourget avec 90.000 euros en espèces sur lui, alors que l’homme est poursuivi par le Parquet national financier pour « blanchiment » et « association de malfaiteurs ». Le locataire de l’Elysée a sous-estimé le pouvoir d’inertie du système libanais et surestimé les vertus de la diplomatie en bras de chemise. Le morceau de bravoure de Gemmayzé est resté un moment d’hubris sans lendemain.

(Le Monde)