Israël fournira du gaz au Liban, mais il ne faut pas le savoir. S’agit-il d’un «accord secret» ?

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(Rome, 25 juillet 2022). Pour ajouter une couche supplémentaire d’absurdité, tout cela se produira alors que la direction du Hezbollah menace Israël de guerre s’il extrait du gaz du champ voisin de Karish

Le 21 juin, le ministère libanais de l’Énergie, la Syrie et l’Égypte ont signé un accord pour la fourniture du gaz naturel égyptien au Liban via la Syrie. En vertu de l’accord, l’Égypte exportera 650 millions de mètres cubes de gaz naturel par an vers la centrale électrique de Deir Ammar au Liban (Nord). Le gaz arrivera au Liban par le gazoduc arabe (AGP), qui traverse la Jordanie et la Syrie.

Selon le journaliste et analyse Jonathan Spyer dans les colonnes du média «Rights Reporter», cet accord, qui nécessite l’approbation finale de la Banque mondiale, qui le financera en partie, et des États-Unis, est significatif à plusieurs égards.

Tout d’abord, s’il est mis en œuvre, il contribuera à soulager le sort des citoyens libanais, pour lesquels les coupures de courant et les longues heures sans électricité font désormais partie de leur quotidien. Selon un rapport du «Center for Strategic and International Studies», l’accord promet de générer 450 mégawatts d’électricité supplémentaires. Cela devrait fournir aux foyers libanais quatre heures supplémentaires d’électricité par jour. L’«Electricité du Liban» (EDL) a à peine fonctionné ces derniers mois, laissant les citoyens dépendants de générateurs privés, fonctionnant au diesel.

Deuxièmement, l’accord représente une importante réalisation pour le régime d’Assad en Syrie. L’approbation des États-Unis reste nécessaire, car l’accord va à l’encontre du «Caesar Act américain», qui maintient les sanctions financières à l’encontre du régime syrien, en raison des massacres de civils qu’il a perpétrés pendant la guerre civile syrienne.

 Avant la guerre, le gaz était pompé depuis l’Égypte vers le Liban, mais ce processus a été interrompu en 2011 en raison de l’instabilité et des attaques de pipelines en Syrie. L’accord permettra donc au régime syrien de contourner les sanctions et de projeter l’image d’un retour à la normale, ainsi que d’obtenir une modeste injection de revenus grâce au transfert de gaz.

L’accord a également des implications géopolitiques. Si les États-Unis donnent leur feu vert final, ce sera au moins en partie, pour contrecarrer les efforts de l’Iran et de son mandataire local, le Hezbollah, visant à utiliser l’approvisionnement en carburant en provenance d’Iran comme un moyen de renforcer davantage l’emprise de Téhéran sur le pays.

Depuis septembre, trois pétroliers iraniens transportant du diesel ont fait route depuis l’Iran vers le port syrien de Baniyas. De là, le diesel a été transporté par camion à travers un passage frontalier informel à Qousseir. Bien que les quantités apportées jusqu’à présent par l’Iran soient loin de celles nécessaires pour faire face à la crise énergétique, elles représentaient une sorte de propagande de victoire pour les intérêts iraniens au Liban. L’accord de juin sert à renverser la situation en liant la fourniture d’électricité à un niveau stratégique aux États alignés sur l’Occident, plutôt qu’à l’Iran.

 Le gaz viendra-t-il d’Israël ?

À cet égard, et peut-être manière plus significative, il semble qu’une partie ou la totalité du gaz qui atteindra l’usine de Deir Ammar via le gazoduc, sera israélien, extrait du champ gazier de Léviathan dans l’est de la Méditerranée.

La probabilité que le gaz devant être transféré via l’AGP provienne du champ gazier de Léviathan a été indignement démentie par le gouvernement libanais, à la suite d’un reportage de la Douzième chaîne diffusé en janvier.

Le ministère libanais de l’Énergie a publié une déclaration suite au reportage de la Douzième chaîne, affirmant que le reportage était « totalement faux » et que « l’accord d’approvisionnement en gaz qui est en cours d’élaboration entre le gouvernement libanais et le gouvernement égyptien établit clairement et explicitement que le gaz devrait provenir d’Egypte ».

La défense du ministère libanais de l’Énergie est compréhensible. La loi libanaise interdit tout contact avec Israël et les Israéliens. Le Hezbollah, qui est représenté dans le cabinet qui dirige désormais officiellement le Liban, veut la destruction d’Israël. S’il s’avérait que les besoins énergétiques du pays sont largement couverts par l’importation de gaz israélien, ces positions pourraient faire l’objet de moqueries. Pourtant, de nombreuses prévues vont dans ce sens. Amit Mor, PDG d’«EcoEnergy Financial Strategic Consulting» et maître de conférences à l’Université Reichman, est sans équivoque dans son évaluation.

« L’accord commercial est conclu avec la compagnie gazière égyptienne », a déclaré Mor au « Jérusalem Post ». Mais « le même gaz proviendra du gisement de Léviathan, car le gaz israélien circule actuellement dans le gazoduc arabe à travers la Jordanie vers l’Egypte ».

Et Jonathan Spyer d’ajouter qu’un examen plus approfondi de l’évolution de la consommation de gaz égyptien et de l’infrastructure de gazoducs qui approvisionnera le Liban en gaz, semble étayer cette thèse.

L’Égypte utilise la quasi-totalité du gaz extrait localement pour sa consommation nationale. Selon un récent rapport du site égyptien Mada Masr (associé à l’opposition égyptienne), la production locale quotidienne actuelle de gaz se situe entre 7 et 7,5 milliards de pieds cubes (un pied cube représente un volume d’environ 28 litres. Le mètre cube est l’unité de mesure de volume du système international). La consommation locale est actuellement de 6 milliards de pieds cubes par jour. Le gouvernement égyptien prend 5 milliards, tandis que la société de forage partenaire prend le reste ; le gouvernement égyptien achète alors un milliard à l’entreprise pour couvrir ses besoins nationaux. À l’heure actuelle, par conséquent, l’Égypte ne dispose donc pas d’un stock important de réserves extraites sur le marché intérieur et disponibles pour l’exportation. L’Egypte exporte une partie du gaz vers l’Europe, à partir des deux usines de liquéfaction d’Edku (une ville du gouvernorat de Beheira, située à l’est d’Alexandrie et à l’ouest de Rashid, surplombant la mer Méditerranée) et de Damiette (dans le nord du pays, sur le delta du Nil). Une partie de ce gaz exporté est à son tour importée d’Israël.

Plus précisément, la structure des gazoducs actuellement en service ne permettrait pas d’acheminer le gaz extrait localement de l’Égypte vers la Jordanie puis vers la Syrie et le Liban en utilisant l’AGP. Ce gazoduc croise les gazoducs israéliens en deux points : à Arish, en Égypte, et avec un gazoduc israélien du champ Léviathan, qui rejoint l’AGP en un point de la ville de Mafraq, en Jordanie. Pour que l’Égypte puisse acheminer du gaz vers la Jordanie en utilisant l’AGP, elle devrait soit cesser d’importer du gaz israélien, soit construire un nouveau gazoduc pour transporter le gaz extrait localement de Port-Saïd à Arish, qui serait ensuite transféré à l’AGP. Aucune de ces actions ne serait réalisable, et aucune ne semble être en cours.

Il semble donc évident que le gaz qui atteindra le Liban via la Jordanie et la Syrie, si (et quand) l’accord du 21 juin reçoit l’approbation définitive, sera en fait extrait par Israël du gisement de Léviathan.

Ainsi, l’accord, s’il est mis en œuvre, représentera un succès majeur pour le régime d’Assad dans ses efforts pour mettre fin à son isolement. En outre, cela introduira une situation dans laquelle les dirigeants du Hezbollah pourront éclairer et chauffer (ou refroidir) leurs bunkers au sud de Beyrouth (où ils planifient vraisemblablement la prochaine guerre contre Israël), tout cela grâce à l’extraction israélienne de gaz en Méditerranée orientale.

Pour ajouter une nouvelle couche d’absurdités, tout cela se produira alors que la direction du Hezbollah menace Israël de guerre s’il extrait du gaz du champ voisin de Karish. Le Moyen-Orient ne manque jamais de se souvenir de « l’homme du sous-sol » de Dostoïevski, qui définissait l’être humain comme une « créature qui marche sur deux jambes et qui n’a aucun sens de la gratitude », et « l’homme du sous-sol apparaît paradoxalement comme tout sauf inactif, changeant et bouleversant tout »…