Poutine prépare le voyage en Iran. Un sommet pour répondre à Biden

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(Paris, 18 juillet 2022). Après Joe Biden, ce sera le tour de Vladimir Poutine au Moyen-Orient. Le président russe est prêt à atterrir à Téhéran avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan. Le chef de la Maison Blanche s’est rendu en Israël et en Arabie saoudite : celui du Kremlin, non sans envoyer un signal clair au dirigeant américain, s’envole plutôt vers le rival des deux pays ayant accueilli Biden. L’Iran se trouve au centre de l’agenda moyen-oriental du président américain et la principale cible de l’État hébreu s’il continue à envisager un programme nucléaire, observe Lorenzo Vita dans les colonnes du quotidien italien «Inside Over».

Le message semble s’adresser davantage à Washington plutôt qu’aux capitales du Moyen-Orient. Et la raison en est qu’Israël et le Royaume ont évité d’imposer des sanctions contre la Russie en suivant les directives de l’étranger. L’État hébreu, à un stade précoce de la guerre en Ukraine, semblait également prêt à mener la médiation entre Kiev et Moscou. Tandis que la monarchie arabe, désireuse de tirer le meilleur parti de la crise énergétique, a évité de pomper de plus grandes quantités de pétrole, soutenant ainsi la hausse des prix qui profite aux pays producteurs dans le sillage de l’embargo sur le pétrole russe.

Le match se joue entre Poutine et Biden. Et le président russe a décidé de s’intéresser à l’un des « ventres mous » de l’administration démocrate : le Moyen-Orient. Le dirigeant américain avait depuis longtemps tenté de réactiver les négociations sur le dossier nucléaire à Téhéran mais sans succès notable. Les discussions semblent gelées. Les Emirats Arabes Unis se sont retenus sur une sorte d’OTAN régionale dans une clé anti-iranienne. Et pendant ce temps, la guerre en Syrie, bien que latente, n’est en aucun cas terminée. Et dans ce grand bourbier stratégique autour de Damas, un jeu fondamental se joue, pour lequel ce n’est donc pas un hasard qu’Erdogan soit également attendu à Téhéran.

Selon la lecture d’un expert régional, la Turquie, passée maître dans l’art de jouer sur plusieurs tables, doit défendre ses intérêts vitaux dans le nord syrien et irakien, son arrière-cour «partagée» avec l’Iran. L’AKP (le parti d’Erdogan au pouvoir) doit triompher lors des élections de 2023, année du centenaire de la République qui voudrait voir l’essor de la «Yeni Türkiye» (la «nouvelle Turquie» post-kémaliste). Ankara accélère les processus de sécurisation des dossiers les plus importants : la «pacification» syro-irakienne et le maintien d’une relation fructueuse avec la Russie tout en restant fermement ancré dans l’OTAN (et disposant d’un électorat qui se débarrasserait bien volontiers de l’OTAN). L’équidistance souhaitée entre l’Ukraine et la Russie, conduit Ankara à de difficiles épreuves d’équilibre : si début mars la Turquie avait envoyé Ethem Sancak, cadre de l’AKP (considéré comme ayant « des liens étroits avec Erdogan) en Russie pour exprimer le regret pour l’usage des drones turcs par les Ukrainiens, ajoutant que l’Alliance atlantique est pour la Turquie « une erreur » qui sape la démocratie turque, la nouvelle est que fin juin, Baykar, dirigé par le gendre du président, fournira gratuitement aux Ukrainiens 3 drones de combat « pour la défense de leur patrie ».

Le dirigeant turc, après sa demande sur les Kurdes, formulée au siège de l’OTAN, n’a pas renoncé à son emprise sur la Syrie. Et dans le nord, des rumeurs courent sur une éventuelle offensive d’Ankara en cas d’absence de réponse sur le front des milices kurdes liées au PKK. L’Iran, la Turquie et la Russie gèrent le conflit syrien dans ce qu’on a appelé le format d’Astana : Et maintenant, à Téhéran, ils pourraient renouer leurs relations, bien que la guerre en Ukraine ait bouleversé la diplomatie internationale. L’hypothèse selon laquelle la Syrie peut re-calibrer le centre de gravité de la politique mondiale n’est pas une question mineure. Notamment, parce qu’elle réunit non seulement les pays rivaux des États-Unis et le partenaire le plus gênant de l’OTAN, la Turquie, mais aussi parce qu’elle est compactée avec une autre crise potentiellement explosive : celle du blé. Une crise dont le Moyen-Orient n’est nullement exclue. L’éventualité d’une combinaison de ces facteurs conduirait Ankara et Moscou à reprendre en main le sort de la région. Et l’Iran, qui à ce stade apparaît à nouveau dans l’œil du cyclone après la visite de Biden en Israël, pourrait avoir intérêt à ne pas renoncer à toute forme de déstabilisation.

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L’importance de cette réunion est ensuite donnée par un facteur qui, depuis le début de la guerre en Ukraine, apparaît fondamental : Poutine quitte le Kremlin. Pas un élément secondaire puisque depuis des mois les médias occidentaux décrivent le président russe comme un dirigeant entouré uniquement de son cercle le plus proche de loyalistes, affligé par la maladie, hypocondriaque et surtout peu disposé à quitter Moscou même pour éviter des incidents. Le fait que – jusqu’à preuve du contraire – le voyage à Téhéran soit confirmé montre à quel point il est important pour Poutine de voir Ebrahim Raïssi et Erdogan.

Le porte-parole du président, Dimitri Peskov, a précisé à plusieurs reprises que ce voyage n’avait rien à voir avec l’Ukraine mais uniquement lié à la question syrienne. Mais il est clair qu’à l’heure actuelle, cela ne peut non plus être lié à ce qui se passe en Europe de l’Est et en mer Noire. Poutine verra Erdogan, et inévitablement ils discuteront de ce qui a été décidé dans le circuit de l’OTAN et de ce qui pourrait être réalisé afin de débloquer le jeu du blé. Pour l’heure, l’ONU a investi dans la possibilité que la Turquie soit elle-même le garant des corridors céréaliers avec un centre logistique à Istanbul afin de suivre les navires quittant les ports ukrainiens et de les empêcher de heurter les mines en mer Noire.

S’agissant de la rencontre Poutine-Raïssi (et celle avec l’ayatollah Ali Khamenei), au moins deux sujets seront abordés : le nucléaire, sur lequel la Russie a un poids pertinent puisqu’elle participe à la plate-forme internationale pour un accord, et les drones. Il n’a pas échappé que, quelques heures seulement avant l’annonce du voyage de Poutine en République islamique, l’alarme a été tirée par les États-Unis sur la possibilité que l’Iran fournisse des drones à la Russie.

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L’hypothèse n’a pas été officiellement démentie par l’Iran, tandis que M. Peskov a déclaré que l’achat de drones à l’Iran ne fera pas partie des discussions.