France: pourquoi les diplomates laissent-ils éclater leur «malaise» ?

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Une grève prévue le 2 juin, des ambassadeurs affichant publiquement leur soutien au mouvement, des tribunes dans la presse… Le monde traditionnellement discret de la diplomatie française laisse éclater son « malaise » face à des réformes accentuant selon lui le déclin de l’influence de la France dans le monde. 20 Minutes fait le point sur ce mouvement rarissime, alors que la dernière grève a eu lieu en 2003.
Qui va faire grève le 2 juin exactement et pourquoi ?
La grogne couve depuis des mois, si ce n’est des années, mais a éclaté après la publication en avril au Journal officiel du décret d’application au ministère des Affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique. Six syndicats et un collectif de 500 jeunes diplomates ont donc appelé à la grève le 2 juin, un mouvement social rarissime dans l’histoire du Quai d’Orsay, « une maison qui n’a pourtant pas de tradition frondeuse », souligne Olivier da Silva, responsable du syndicat des cadres CFTC.
Plus symptomatique encore, des dizaines de diplomates de haut rang ont annoncé ces derniers jours sur Twitter leur participation ou leur soutien à la grève, sous le hashtag #diplo2metier. « Je serai en grève le 2 juin pour protester contre la réforme du corps diplomatique et la réduction continue des moyens de notre diplomatie », a ainsi tweeté l’ambassadrice au Koweit, Claire Le Flécher, « les diplomates ne sont pas interchangeables », a estimé sa collègue à Oman, Véronique Aulagnon. Résumant l’état d’esprit, l’ambassadeur en Azerbaïdjan, Zacharie Gross, a écrit : « les diplomates français sont dévoués corps et âme mais sont surmenés, sous-payés, sous équipés ».
Outre une réforme qui entraînera aussi selon eux des « nominations de complaisance », une « déstructuration des carrières » et une « crise des vocations », 500 diplomates regroupés en collectif se sont inquiétés dans une tribune publiée récemment dans le quotidien Le Monde d’une « réduction vertigineuse des moyens » (suppression de 50 % d’effectifs en trente ans) et de « décennies de marginalisation du rôle du ministère au sein de l’Etat ».
C’est quoi cette réforme de la haute fonction publique ?
Cette réforme de la haute fonction publique, voulue par le président Emmanuel Macron, crée un nouveau corps d’administrateurs de l’Etat et prévoit que les hauts fonctionnaires ne seront plus rattachés à une administration spécifique mais seront, au contraire, invités à en changer régulièrement tout au long de leur carrière. Pour les diplomates [environ 700 directement concernés par la réforme] cela se traduit par une fusion puis une « mise en extinction » progressive d’ici à 2023 des deux corps historiques de la diplomatie française, ministres plénipotentiaires (ambassadeurs) et conseillers des affaires étrangères. Soit, estiment nombre d’entre eux, « la fin de la diplomatie professionnelle » française, troisième réseau international derrière les Etats-Unis et la Chine.
En outre, les contours parfois encore flous de la réforme de la haute fonction publique ne permettent pas de donner toutes les réponses aux diplomates inquiets, qui veulent « des garanties gravées dans le marbre ».
Comment le ministère des Affaires étrangères réagit-il ?
Environ 13.500 agents (titulaires, contractuels, recrutements locaux, etc.) sont employés par le ministère des Affaires Etrangères, selon des chiffres officiels. La diplomatie est traditionnellement le domaine réservé du président, mais cette orientation est particulièrement forte sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat n’a, par ailleurs, pas ménagé ses diplomates, notamment en dénonçant devant eux en 2019 un « Etat profond » au sein du Quai d’Orsay.
Le ministère, où vient d’arriver Catherine Colonna, diplomate de carrière dont la nomination a été interprétée comme un « message » à l’endroit des personnels, assure avoir « noué un dialogue social de qualité » avec toutes les organisations syndicales. « L’inquiétude est réelle, les personnels sont fatigués », reconnaît-on cependant de source proche du dossier, soulignant que le mouvement social intervient dans un « contexte très difficile » : plus de deux années de Covid-19, successions de crises, des évacuations de Kaboul après la victoire talibane en août 2021 en passant par la guerre en Ukraine, les expulsions de diplomates par la Russie, la crise avec le Mali, etc. Par définition, le monde diplomatique n’a pas été épargné par les crises planétaires.

(20minutes)