(Rome, 24 mai 2022). Ces derniers mois, de plus en plus de pays sont plongés dans une spirale dangereuse, provoquée par une crise économique et de pénuries alimentaires. La Tunisie, l’Egypte, le Liban et la Syrie ont été les plus discutés, mais depuis quelques semaines, un autre pays retient l’attention internationale : l’Iran. Une crise très grave frappe Téhéran, limitant le pouvoir d’achat de la population. Ainsi, les denrées alimentaires de base sont devenues inaccessibles même pour la classe moyenne. Contrairement à d’autres nations, des manifestations violentes et féroces ont éclaté en Iran, entrainant la mort d’au moins cinq personnes, comme le rapporte Adèle Ferrari dans les colonnes du quotidien «Inside Over».
Les origines de la crise
Plusieurs facteurs ont contribué à l’apparition de la crise économique en Iran. Le premier sur la liste est celui de la pandémie de Covid-19 qui a bloqué l’économie pendant des mois, intensifié les dépenses publiques et fait chuter le prix du pétrole. La guerre en Ukraine, a immédiatement exacerbé les tensions géopolitiques qui minent le pays depuis des années et compromettent son développement. Un mélange dangereux renforcé également par les sanctions sévères imposées par les États-Unis et l’UE qui, depuis des années, ont favorisé la stagnation économique.
L’économie du pays est caractérisée par les secteurs de l’agriculture, des services et principalement des hydrocarbures. En effet, l’Iran se classe au quatrième rang mondial pour les réserves de pétrole et au deuxième rang pour le gaz naturel. Malgré un système économique remarquablement diversifié, Téhéran reste particulièrement dépendant des revenus du secteur énergétique et donc de sa volatilité. Entre 2021 et 2022, une baisse des revenus pétroliers et une augmentation des dépenses ont conduit le gouvernement à faire face à une période de déficit budgétaire qui ne montre aucun signe d’atténuation. L’ensemble des aspects de l’économie sont en déclin. Selon la Banque mondiale, le PIB réel de 2020-2021 a régressé vers celui de 2010-2011 tandis que celui par habitant est tombé au niveau enregistré entre 2004 et 2005.
Mais la crise a des racines lointaines, depuis que les États-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, à la demande de l’ancien président Donald Trump et que les sanctions se sont intensifiées. Depuis lors, la monnaie nationale, le toman, a perdu 82 % de sa valeur et l’inflation est passée de 30 % à plus de 40 %. La population vit dans une situation d’extrême précarité, avec un seuil de pauvreté fixé à 400 dollars par mois et par ménage. La pension ne dépasse pas 7 millions de tomans – 232 euros – mettant des millions de personnes dans une situation critique.
En raison de la guerre en Ukraine, les denrées alimentaires ont connu une importante flambée. Les prix ont d’abord frappé la viande et le poisson, puis la farine et le riz, déclenchant la colère de la population qui ne sait plus quoi manger. Selon un article du quotidien Le Monde, par exemple, le prix d’un paquet de fromage coûte aujourd’hui 30.000 tomans, soit cinq fois plus qu’il y a un an et la famille interrogée n’arrive plus à trouver même du yaourt, l’un des aliments de base du régime (alimentaire) iranien avec le riz. Les prix sont devenus inabordables tant pour les pauvres que pour les classes moyennes. De nombreux observateurs estiment que la classe moyenne n’existe plus. Depuis janvier, de nombreux rassemblements ont eu lieu dans au moins 80 villes iraniennes mais c’est au cours des derniers mois qu’ils se sont intensifiés et ont été violemment réprimés.
Les protestations
La limite a été atteinte lorsque, le 3 mai, le gouvernement dirigé par le fondamentaliste Ebrahim Raïssi a déclaré son intention de réduire les subventions pour le blé et la farine. Cette mesure a entraîné une augmentation des prix pouvant atteindre 300 %, mettant le pouvoir d’achat des familles en extrême difficulté. La fin des subventions a conduit la population à descendre dans les rues des villes iraniennes, donnant lieu à une nouvelle vague de manifestations après celles de 2019. Les premières provinces touchées ont été celles du sud et de l’ouest dont les provinces du Khouzistan, Chaharmahal Bakhtiari, et les villes de Boroujerd dans le Lorestan, et Dehdasht dans le Kohgiluyeh et Buyer-Ahmad, des zones déjà très défavorisées et pauvres. D’autres manifestations ont également été enregistrées dans certaines villes de la région d’Ispahan au centre du pays et plus à l’est dans la province de Khorosan Razzavi. A Téhéran, les manifestations sont arrivées le 15 mai et se sont poursuivies pendant plusieurs jours.
Les manifestations, qui n’ont pas été enregistrées dans d’autres pays touchés par les mêmes problèmes, ont été caractérisées par des slogans appelant au renversement du pouvoir. Des slogans visaient directement Raïssi et à la plus haute autorité du pays, le guide suprême Ali Khamenei, tenus pour responsables de la crise. Certains ont même appelé au retour de la dynastie Pahlavi, balayée par la révolution (des Mollahs) en 1979. Les manifestations ont alors pris des connotations politiques.
Les représailles de la police ne se sont pas fait attendre, bien que moins violentes que celles de 2019. Cinq personnes ont perdu la vie lors de la répression armée. Les services Internet ont été bloqués pendant plusieurs jours visant à empêcher les gens d’organiser des rassemblements en ligne. Par rapport à celles de 2019, les manifestations sont désormais mieux organisées et présentent des revendications claires et ne franchissent jamais la ligne rouge, en négociant avec les responsables politiques.
Aujourd’hui, la confiance des Iraniens dans les institutions s’effondre de plus en plus, comme en témoigne l’effondrement du taux de participation aux élections de l’an dernier. En effet, le taux d’abstention a atteint des niveaux record, atteignant 51% lors des élections présidentielles de 2021 et 57% aux élections législatives de 2020.