(Rome, Paris 25 avril 2022). Le leader de La République en marche (LREM) est à la tête d’un pays divisé et devra probablement ouvrir le gouvernement à d’autres forces politiques, pour garder le contrôle du Parlement
Le président Emmanuel Macron a été réélu à la tête de la France, après avoir battu la challenger d’extrême droite Marine Le Pen au second tour. Cette reconduction, qui avait été pressentie par les sondeurs, est cependant une victoire qui cache plusieurs éléments inconnus pour les cinq prochaines années. En effet, avec la nomination du nouveau Premier ministre en vue des élections législatives de juin, le Président n’aura pas la voie claire comme il l’avait en 2017, pour gouverner le pays, qui s’est révélé profondément divisé, comme nous explique Francesco Bortoletto sur les colonnes du quotidien italien «Europa Today».
Une victoire à la Pyrrhus ?
Macron a gagné, premier chef d’Etat depuis Jacques Chirac (2002) à marquer un bis à l’Elysée. Mais, comme en témoigne la presse française, ce fut une victoire sans triomphe. Les deux tours des élections ont esquissé un certain nombre d’indices qui pèsent sur la tête du président fraîchement élu comme une épée de Damoclès : un taux d’abstention très élevé (28 % au second tour) et un résultat historique de l’extrême droite, qui s’établit à 41,46% progressant pratiquement partout (dépassant le rival de 10 points dans plus de 11.600 villes et communes). Des signes qui parlent d’un pays profondément divisé et désabusé par la gestion du pouvoir politique, qui risque de remettre un Parlement fragmenté lors des prochaines élections législatives.
Le président sortant, qui est passé de 66 % en 2017 à 58,54 % aujourd’hui, a bien conscience qu’il ne peut plus gouverner seul : « nombreux sont qui, dans ce pays, ont voté pour moi non pas parce qu’ils soutiennent mes idées, mais pour écarter celles de l’extrême droite ». dit-il dimanche soir. « Je veux les remercier et leur faire savoir que j’ai une dette envers eux pour les années à venir », a-t-il ajouté. «Le Figaro» l’a qualifié de « géant aux pieds d’argile » qui « à l’heure de son triomphe n’a jamais été aussi vulnérable ».
Vers le troisième tour
En bref, la bataille pour les élections législatives (12 et 19 juin prochains) a déjà commencé, au cours de laquelle les citoyens français seront appelés à renouveler l’Assemblée nationale. Les alliés de Macron craignent un bras de fer au « troisième tour », alors que la presse transalpine désigne le vote aux législatives pour souligner sa proximité avec le scrutin présidentiel. Il y a cinq ans, le leader libéral avait battu les prétendants en s’assurant une solide majorité avec 350 députés sur 577, donnant naissance à un exécutif unicolore et un gouvernement à parti unique, gouvernant le pays presque sans partage ni contestation.
Mais d’après les sondages, le président réélu ne pourra pas refaire le jeu. L’électorat français apparaît insatisfait, désabusé et fortement polarisé, avec trois pôles d’attraction : au centre (avec Macron) et aux deux extrêmes de l’échiquier politique, à droite avec Le Pen et à gauche avec Jean-Luc Mélenchon. Tous deux ont promis la «bataille», et tous deux travaillent à la recomposition de leurs territoires respectifs : à droite on parle d’une « grande union patriotique » entre les forces régaliennes de Le Pen et d’Éric Zemmour, tandis qu’à gauche Mélenchon semble être le centre de gravité d’une alliance progressiste et écologiste qui voudrait devenir l’interlocuteur prioritaire du président, ayant contribué à sa réélection.
De son côté, il semble que le locataire de l’Elysée veuille mettre en place une sorte de mouvement ou de parti unique à partir des différentes formations qui le soutiennent (plus d’une demi-douzaine), pour réitérer le triomphe de «sa» République en marche à aux législatives 2017. Alors qu’il semblerait plus sceptique quant aux alliances polychromes, de peur qu’une majorité trop composite ne risque de s’enrayer.
Le nouveau gouvernement
Au cours de son premier quinquennat, Macron a choisi deux premiers ministres de centre droit (Edouard Philippe et Jean Castex) ainsi que plusieurs ministres de centre gauche et écologistes. Cette fois, le président souhaiterait un cabinet jeune et probablement plus orienté vers le domaine progressiste, même si des rumeurs courent sur le maintien de plusieurs membres du gouvernement actuel. Mais la discontinuité dans la continuité de la nouvelle présidence Macron pourrait se constater dès la semaine prochaine avec la nomination d’un nouveau Premier ministre.
Le mandat de Jean Castex expire le 1er mai et la France pourrait avoir un nouveau Premier ministre dès le lendemain, le Premier ministre ayant annoncé la démission de son équipe gouvernementale bien qu’il puisse techniquement rester en fonction jusqu’aux prochaines élections. Si Macron accepte la démission, il pourra nommer un premier ministre de transition jusqu’au renouvellement de l’Assemblée.
Selon des sources proches de M. Macron, le nouvel exécutif sera dirigé par une femme, la première en 31 ans après Edith Cresson. Il faut toutefois rappeler que même en 2017, le président avait déclaré vouloir une femme comme Premier ministre, pour ensuite nommer Edouard Philippe. Certains noms éligibles seraient Julien Denormandie (ministre de l’Agriculture), Elisabeth Borne (ministre du Travail), Amélie de Montchalin (ministre de la Transformation et de la Fonction publique) et Christine Lagarde (gouverneur de la BCE). Pour l’heure, cependant, on ne sait pas grand-chose au-delà du fait que Macron entend se concentrer sur un profil privilégié par les écologistes, probablement en accord avec le centre-gauche parlementaire.
Cohabitation
Dans ce cas, ce serait une issue typique du semi-présidentialisme français, qui porte un nom précis : la cohabitation, où le premier ministre est issu d’un autre parti que celui du président de la République. Habituellement, le premier ministre est exprimé par le parti qui remporte les élections parlementaires : lorsqu’il ne s’agit pas de celui du président, les pouvoirs de ce dernier se limitent à diriger les forces armées, la politique étrangère et d’autres rôles représentatifs, tandis que la ligne politique intérieure est dictée par le premier ministre.
Selon un récent sondage, 63% des électeurs français souhaitent la cohabitation, ce qui serait une façon pour Macron d’être ouvert à écouter la voix des Français, ceux qui ne pensent pas comme lui. Parmi les propres partisans du président, un tiers souhaiterait que son parti ne parvienne pas à obtenir la majorité et 83 % désignent Mélenchon comme le nom idéal. Sur le plan national, Le Pen devance pourtant le rival de la gauche radicale.
En termes de prévisions, il semble plus probable que la France Insoumise (le parti de Mélenchon, LFI), ou une coalition progressiste, puisse obtenir plus de soutien électoral que l’«union de la droite» divisée. Même si tel était le cas, le bloc de la gauche pourrait considérablement compliquer les plans de Macron, étant donné que Mélenchon lui-même est très critique sur de nombreux points du programme du président, à commencer par la réforme des retraites et les politiques économiques, mais aussi sur des questions stratégiques telles que l’adhésion de Paris à l’UE et à l’OTAN. Et dans les 50 jours qui nous séparent du premier tour des législatives, tout peut encore arriver.