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Le Pakistan vote la défiance contre Khan. Ce qui change pour l’Afghanistan, l’Inde, la Chine et les USA

(Rome, Paris, 09 avril 2022). La crise politique au Pakistan est profonde et, bien qu’elle tourne autour de la figure du Premier ministre Khan, ses conséquences pourraient affecter des dynamiques telles que celles de l’Afghanistan, de l’Inde, de la Chine et des relations avec les États-Unis

Le parlement pakistanais a voté la défiance contre le Premier ministre Imran Kham. La situation est délicate car on craint des manifestations, y compris violentes, de la part de ses partisans.

La Cour suprême du Pakistan avait déclaré inconstitutionnelle l’initiative par laquelle le Premier ministre tentait (par l’intermédiaire du président) de dissoudre le parlement et de convoquer de nouvelles élections, et avait ordonné que la motion soit votée lors de la session parlementaire d’aujourd’hui, samedi 9 avril contre Khan lui-même. La motion avait déjà été présentée au parlement le week-end dernier, mais le vote a été bloqué par le vice-président de l’assemblée, Qasim Khan Suri, issu du même parti que Khan («Pakistan Justice Movement», un parti nationaliste et populiste).

Comme le rapporte Emanuele Rossi dans les colonnes du quotidien italien «Formiche», le gouvernement pakistanais se trouve dans une situation instable depuis des semaines. L’opposition l’a accusé d’être responsable de la forte inflation qui a mis l’économie en difficulté, de l’augmentation du chômage et de ne pas avoir résolu le problème de la corruption endémique dans le pays ; l’un des maux contre lequel Khan s’est porté candidat lorsqu’il a remporté les élections de 2018. Face aux piètres résultats de son action politique, des demandes à sa démission avaient été lancées, ce qui n’était pas pour déplaire aux militaires. Les généraux jouent un rôle important au Pakistan, et la perte progressive de confiance du monde militaire, qui le soutenait autrefois, serait l’une des raisons pour lesquelles Khan est entré dans une crise.

Le Premier ministre a déjà demandé à ses partisans (avant le vote, conscient du résultat) de descendre dans la rue pour manifester, créant ainsi une situation de désordre et de chaos potentiel. Des nouvelles arrivent d’Islamabad selon lesquelles les structures de sécurité ont été mises en état d’alerte juste après que la nouvelle de la défiance s’est propagée. Ce qui se passe est très lié à la personnalité de Khan, il s’agit d’une sorte de référendum sur lui (ancien champion de cricket, diplômé d’Oxford et a surfé sur la vague de populisme de la scène politique), mais les conséquences de ce que pourrait provoquer l’instabilité du Pakistan (qui rappelons-le, est une puissance nucléaire) sont importantes et pourraient avoir des effets directs sur quatre dossiers : l’Afghanistan, les Etats-Unis, l’Inde, la Chine. Voyons-les dans l’ordre.

Les services de renseignement pakistanais ont, depuis des années, noué des contacts et des relations entre le monde (articulé et divisé) des talibans. Ces relations se sont essoufflées durant la dernière période, même si Khan a été beaucoup moins critique que d’autres dirigeants mondiaux à l’égard du non-respect des droits de l’homme par l’organisation djihadiste qui dirige le régime afghan. Les forces armées du Pakistan exigent davantage des talibans en termes de sécurité, autrement dit, qu’elles souhaitent que les héritiers du mollah Omar fassent office de barrière entre les groupes armés qui attaquent Islamabad et le Pendjab : il s’agit essentiellement de l’État islamique du Khorāsān (EI-K) et d’autres formations extrémistes qui utilisent aussi l’Afghanistan comme arrière base logistique. Il est possible de prévoir que (avec ou) sans Khan, ces priorités stratégiques resteront celles du Pakistan.

La Chine a été décrite par Khan comme l’alternative mondiale au modèle occidental, souligne Emanuele Rossi, dans la lignée de ce que Pékin entend représenter. Dans le même temps, le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) d’une valeur de 60 milliards de dollars, qui relie les deux pays, a été conceptualisé et lancé sous l’égide des deux partis politiques d’opposition, qui voulaient que Khan soit chassé du pouvoir. Le chef de l’opposition et successeur potentiel à la tête du gouvernement, Shehbaz Sharif, a conclu des accords directement avec la Chine en tant que chef de la province orientale du Pendjab, et sa réputation de faire démarrer de grands projets d’infrastructure, tout en évitant l’ostentation et la démagogie politique, pourrait bien être reçue à Pékin. De ce point de vue, Khan n’est pas fondamental pour la poursuite des intérêts stratégiques chinois.

En raison de cet alignement sur la Chine, et des conséquences de trois guerres qui ont eu lieu depuis 1947, les relations entre l’Inde et le Pakistan sont actuellement au plus bas. La dynamique, comme dans le cas de l’Afghanistan, est toutefois gérée principalement par le secteur militaire et le renseignement, et le général Qamar Javed Bajwa, puissant chef des forces armées pakistanaises, a déjà déclaré que son pays était prêt à « aller de l’avant » sur le Cachemire (le territoire qui fait l’objet de diatribes avec New Delhi depuis des années) si l’Inde est d’accord. La dynastie politique de Sharif a été à l’avant-garde de plusieurs ouvertures vers l’Inde au fil des ans, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il est considéré comme un successeur possible de Khan, qui a plutôt élevé le niveau de la confrontation directe avec l’Indien Nerendra Modi, l’accusant de marginaliser les minorités islamo-chrétiennes, une tentative du Pakistanais pour surfer sur le consensus des islamistes locaux.

Certes, la crise politique à Islamabad n’est pas une priorité pour l’administration Biden, mais l’importance du Pakistan sur un certain nombre d’équilibres dans l’Indo-Pacifique et l’Asie centrale, rend la situation impossible à ignorer pour Washington. Pour les États-Unis, il est important de garder le contact avec les militaires, qui exercent une forme de contrôle en coulisses sur le pays et qui, ces derniers temps, semblent vouloir souligner à quel point les relations avec les Américains sont importantes pour eux (et donc pour le Pakistan). Javed Bajwa a expliqué qu’il était sur cette ligne. La visite de Khan à Moscou, les jours où Vladimir Poutine a lancé l’attaque contre Kiev, a été un désastre en termes de relations avec les États-Unis, et un nouveau gouvernement à Islamabad pourrait au moins aider à réparer les relations. Le Premier ministre avait blâmé les États-Unis pour la crise politique actuelle, en affirmant que Washington voulait le destituer en raison de son récent voyage à Moscou.

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