Erdogan acculé sur le Bosphore et par l’opposition

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(Paris, 01 mars 2022). Le jour où les oppositions turques présentent un plan commun de transition démocratique, le président Erdogan porte la Turquie sur une apparente position pro-démocratique au sujet de l’Ukraine, en fermant l’accès à la mer Noire à Poutine

Le président turc, Recep Tayyp Erdogan, a pris la décision de fermer le détroit des Dardanelles et du Bosphore et de stopper le passage des navires militaires sur la mer Noire. La décision a également été motivée par la demande de Volodymyr Zelensky : le président ukrainien, avec qui le Turc a signé un accord de coopération, le réclamant comme une forme d’assistance contre l’invasion russe (qui entre dans une phase plus violente). Erdogan a d’abord hésité, peut-être aussi par crainte de ruiner les relations avec la Russie de Vladimir Poutine (avec qui Ankara entretient des relations de concurrence complexes), certainement pour attendre les réactions de son entourage, comme le rapporte Ferruccio Michelin dans son analyse dans le quotidien italien «Formiche».

En appliquant les préceptes de la Convention de Montreux qui réglemente les passages sur le Bosphore (décidée précisément pour le rapport de force entre la Russie et la Turquie), le choix d’Erdogan est d’ordre diplomatique, en équilibre entre les paragraphes de la convention, notamment l’article 19. Mais elle place le Turc au niveau perceptible d’une position de terrain, s’orientant vers la ligne la plus stricte, adoptée contre Poutine par le bloc occidental (USA, UE, OTAN, et pays de la communauté internationale communauté).

Aux mêmes heures qu’Erdogan fermait le détroit, les partis d’opposition turcs ont publié à Ankara sur leur plate-forme commune tant attendue, des propositions visant à transformer le système politique turc en un système parlementaire, en d’autres termes, à ouvrir le pays. « Afin d’élargir le pouvoir de représentation, d’assurer l’équité de la représentation et la démocratie pluraliste, le seuil électoral [pour les élections législatives] sera ramené à 3% », ont préconisé les représentants des six principaux partis d’opposition (le HDP pro-Kurde est resté à l’écart).

« Nous sommes déterminés à construire un système fort, libéral, démocratique et équitable qui établit la séparation des pouvoirs avec une législature efficace et participative, un exécutif stable, transparent et responsable, ainsi qu’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial », indique le document qui unit l’opposition turque historiquement fragmentée.

Le chevauchement temporel peut ne pas être aléatoire. Avant de prendre une décision sur le Bosphore, Erdogan aurait soigneusement sondé les parties de l’establishment militaire plus enclines à l’Est russo-chinois mais aussi eurasiatique, qui ont tendance à critiquer l’Occident et l’OTAN (et leurs liens avec la composante économico-productive et politique). Après avoir reçu un feu vert partiel, il a peut-être cherché un équilibre face aux pressions de l’opposition.

Il faut toutefois ne pas oublier que la déclaration de ces forces politiques s’est déroulée dans un contexte de mécontentement public croissant à l’égard de l’économie, en particulier la flambée de l’inflation qui a atteint près de 50 % le mois dernier, ce qui a érodé la popularité d’Erdogan et de son parti l’AKP. A ce stade, accepter la pression sur le Bosphore avec un geste plus sur la forme que sur le fond, signifie ôter son image du monde de Poutine, dirigeant autoritaire et symbole de la façon dont le présidentialisme, que l’opposition veut abolir, peut prendre des dérives monstrueuses, et au contraire, la rapprocher de celui de l’Ukrainien Volodymyr Zelensky, devenu un symbole de la défense des Démocraties.

En bref, conclut Ferruccio Michelin, cette démarche est plus utile au consensus turc qu’au conflit ukrainien. Entre autres choses, l’annonce de la décision sur le Bosphore fait notamment suite à une victoire tactique de la communication d’Erdogan, qui a ainsi réussi à occulter aux yeux de l’opinion publique internationale, l’alignement de l’opposition qui réclame une transition démocratique.