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Pourquoi Poutine n’attaquera pas l’Ukraine

(Rome, Paris, 15 février 2022). Si Poutine devait envahir l’Ukraine et marcher sur Kiev, il creuserait sa propre tombe

Le mercredi 16 février, la Russie envahira l’Ukraine. L’attaque commencera par des bombardements préparatoires aéronavals depuis les districts militaires russes de l’ouest et du sud (Crimée et Sébastopol en première ligne) impliquant probablement la Biélorussie (Loukachenka tient au grade de colonel dans l’armée russe que lui a promis Poutine).

Pendant ce temps, les rebelles des républiques de Luhans’k et de Donetsk déclencheront l’enfer. Dans une semaine ou deux, Kiev s’effondrera aux pieds de Moscou.

Depuis vendredi 11 février, ce scénario de production américaine, détaillé de différentes manières, est sur les tables d’une trentaine de dirigeants de l’OTAN et de partenaires sélectionnés, comme le rapporte Lucio Caracciolo dans son décryptage dans les colonnes du média «Start Magazine».

Washington prévient que Moscou le paiera cher, à commencer par des sanctions financières et économiques dévastatrices, jusqu’à l’exclusion des transactions SWIFT (le centre névralgique mondial des paiements électroniques) ainsi que le boycott des exportations de ses hydrocarbures vers l’Europe et bien plus encore. La Fédération de Russie sera rétrogradée par l’Occident au rang d’État voyou. Première hyperpuissance nucléaire expulsée de la « communauté internationale ».

Le président russe conserve l’usage de la raison. Il maintiendra donc la pression sur l’Ukraine jusqu’à ce qu’il soit sûr d’avoir atteint son objectif : ramener cette marque stratégique dans la sphère d’influence de son empire. Poutine ne veut pas entrer dans l’histoire comme le tsar qui a perdu l’Ukraine. Mais il sait que pour récupérer Kiev, il doit d’abord la neutraliser, la clouer dans un «no man’s land» entre lui et l’OTAN. Pour ensuite la résorber, au moins en partie, une fois que les Ukrainiens auront compris que l’Occident n’a pas l’intention de mourir pour eux. Entre-temps, Moscou voudra creuser les «lignes de faille» dans le déploiement atlantique, incurables et déterminées par les divergences d’intérêts et de mémoires historiques de ses membres. Sans tirer un coup, ou presque.

La première option ne peut, a priori, être écartée. Même les dirigeants les plus intelligents commettent des erreurs fatales sous la pression. Ou quelqu’un dans les forces armées désobéira aux ordres ou tombera dans la provocation, déclenchant un incident qui forcera Poutine à passer à l’offensive. Contrairement au cliché, l’autocrate n’est pas omnipotent. Son état profond peut lui jouer des tours. Il avoue lui-même que 80 % de ses ordres ne sont pas exécutés.

La deuxième hypothèse est plutôt le développement logique du plan russe. Poutine veut faire entrer la Russie dans un nouveau concert européen fondé sur l’équilibre des pouvoirs, subvertissant la primauté américaine encodée dans l’OTAN.

Congrès de Vienne 2.0. Son modèle est Alexandre Ier. La neutralisation de l’Ukraine et l’absorption de la Biélorussie sont des conditions préalables, et non une fin en soi. Minsk est déjà rentré chez lui. Un succès qui est tout sauf secondaire. Pour Kiev, à supposer que ce soit possible, cela prendra beaucoup plus de temps, mais Moscou n’est pas prêt à y renoncer. Il n’est pas non plus si pressé de se lancer dans une offensive contre-productive.

L’attaque à l’ancienne, avec bombardements, chars et massacres de civils conduirait peut-être à un succès militaire temporaire, qui serait certainement suivi d’une défaite stratégique. L’OTAN pousserait des bases et des missiles à la frontière russe avec l’Ukraine. Les Européens et les Américains mettraient de côté leurs différends pendant un certain temps. Suédois et Finlandais, plus anti-russes que presque tous les autres Atlantiques, s’engouffreraient dans l’Alliance et refermeraient au nord l’étau du plus colossal cordon sanitaire de l’histoire. Et qui sait si Pékin, à ce moment-là, lèverait le petit doigt pour Moscou.

Poutine a certainement lu Sun Tzu*. Il sait que la vraie victoire s’obtient sans combat, si, en utilisant des moyens ambigus, aujourd’hui baptisés hybrides, ajoute Lucio Caracciolo. La guerre d’aujourd’hui est menée contre les sociétés, pas contre les États. Par exemple, avec des cyberattaques, capables d’infliger des dégâts structurels à l’ennemi sans que rien ne soit révélé au préalable, pour en constater les effets dramatiques et dévastateurs par la suite. Quand il sera trop tard.

Grâce à ces actions secrètes et d’autres, y compris la désinformation et la guerre psychologique, il est possible de rendre la vie un enfer pour les habitants de Kiev et des grandes villes ukrainiennes. Peut-être forçant le gouvernement à déménager à Lviv, l’ancien épicentre polonais et habsbourgeois de l’Ukraine russophobe. Et en établissant son propre gouvernement coquet, par exemple à Kharkiv, la capitale de l’Ukraine soviétique de 1919 à 1934.

* Il est surtout célèbre en tant qu’auteur de l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien connu : L’Art de la guerre. L’idée principale de son œuvre est que l’objectif de la guerre est de contraindre l’ennemi à abandonner la lutte, y compris sans combat, grâce à la ruse, l’espionnage, une grande mobilité et l’adaptation à la stratégie de l’adversaire. Tous ces moyens doivent ainsi être employés afin de s’assurer une victoire au moindre coût (humain, matériel). Il inaugure ainsi la théorie de l’approche indirecte.

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