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Alors que les regards sont tournés vers l’Ukraine, l’alerte se déclenche sur un autre front

(Rome, Paris, 15 février 2022). Ils l’appellent le «Suwalki Gap». Un corridor d’un peu plus de cent kilomètres qui représente non seulement la frontière entre la Lituanie et la Pologne, mais aussi cette bande de terre qui sépare la Biélorussie de la zone de Kaliningrad, un bastion russe sur la Baltique. Pour de nombreux stratèges de l’OTAN, c’est l’un des véritables points faibles de l’Alliance. Depuis que Varsovie et Vilnius ont rejoint le bloc occidental, cette frontière a uni les États baltes aux forces atlantiques. Mais la présence de l’enclave russe et la proximité de Minsk ont ​​fait de cette frontière entre deux États membres un dangereux talon d’Achille. Les experts soulignent qu’il faudrait très peu de temps aux forces armées russes pour rejoindre Kaliningrad depuis la Biélorussie. Et de cette façon, non seulement ils isoleraient la Baltique, mais ils compacteraient également l’avant-poste de Moscou avec le satellite dirigé par Alexandre Loukachenko, comme le rapporte Lorenzo Vita dans son analyse de l’actualité dans les colonnes du journal italien «Il Giornale/Inside Over».

 Pendant de longues années, la question de Suwalki, qui tire son nom de la ville du même nom située en territoire polonais proche de la « brèche », a été quasiment oubliée par les commandements de l’OTAN. Mais les récentes tensions avec l’Ukraine, et surtout, les exercices militaires continus sur le territoire biélorusse, ont ravivé les projecteurs sur ce corridor terrestre, stratégique pour tous. Le journal américain « Washington Post », dans un article récent, soulignait à quel point les républiques baltes sont profondément préoccupées par ce qui se passe à seulement quelques kilomètres du territoire lituanien. Les exercices militaires menés par les Russes et les Biélorusses constituent un signal d’alarme important, notamment en raison de la crainte que les forces de Moscou restent à Minsk pour une durée indéterminée, augmentant ainsi considérablement le contingent à proximité du territoire de l’OTAN. Le WP rapporte les propos de Kusti Salm, du ministère estonien de la Défense, qui a exprimé très clairement la peur de Tallinn et des autres capitales baltes : « Nous sommes désormais une péninsule. Nous allons devenir une île ». La présence russe « modifie considérablement le calcul pour l’ensemble de l’OTAN, car elle réduit le temps d’alerte précoce », a déclaré Salm. Et cet avantage n’est pas secondaire dans la mentalité des pays qui ont la crainte constante qu’une invasion venue de l’Est puisse se reproduire.

C’est précisément pour cette raison que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont déjà adressé une demande formelle au Bélarus sur les manœuvres effectuées avec la Fédération de Russie. Comme le notent les agences, la demande d’informations a été faite en utilisant les canaux officiels de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et sur la base du chapitre III du document de Vienne, qui oblige les pays membres à échanger des données et des informations sur les activités militaires. Le nombre de chars présents, le nombre de batteries de missiles, les hélicoptères, les unités déployées sont autant de motifs d’inquiétude. La Biélorussie ressemble en ce moment à un immense camp d’entraînement en vue d’un conflit en Ukraine, mais la crainte des Baltes est que cela puisse cacher un objectif secondaire non négligeable : profiter du moment pour augmenter le nombre de troupes russes en Biélorussie et les y laisser comme l’épée de Damoclès en vue d’une possible escalade sur l’autre front de l’Est.

Pour les pays de l’extrémité nord-est de l’OTAN, cette alerte sert aussi à rappeler à l’Alliance leur importance dans le nouveau cours des relations entre les Etats-Unis et la Russie. Il est peu probable que Moscou déplace ses forces armées pour rejoindre Kaliningrad depuis la Biélorussie et isoler les trois républiques. Il est plus probable qu’il renforce constamment sa présence à Minsk en vue de contrôler la région. Cependant, comme le rappellent plusieurs analystes, l’impression est que ce « rappel » balte sert à Vilnius, Riga et Tallinn pour réitérer la nécessité d’un nouveau renforcement de la présence de l’OTAN et d’un plus grand intérêt du bloc pour leurs équipements militaires. L’article 5 du pacte est déjà une condition suffisante pour ne pas croire à l’imminence d’une opération vers Kaliningrad, mais à l’heure actuelle, alors que les regards sont tournés vers l’Ukraine, de nombreux observateurs craignent que le renforcement russe au nord-ouest ne soit pas remarqué. Une inquiétude qui rejoint également celle des États-Unis de ne pas pouvoir renforcer de manière décisive le projet «Trimarium*» et la barrière atlantique face à la Russie. Et c’est aussi pour cette raison que les Baltes rappellent aujourd’hui l’importance de leurs frontières.

* L’Initiative des trois mers (ITM), aussi connu comme l’Initiative des mers Baltique, Adriatique et de la mer Noire, est un forum de pays d’Europe centrale et orientale, tous membres de l’Union européenne. Il compte douze États, pour la plupart des pays de l’ancien « bloc de l’Est », et vise à créer un dialogue nord-sud sur différents enjeux régionaux. Ils se sont réunis pour leur premier sommet à Dubrovnik en 2016.

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