(Rome, Paris, 13 janvier 2022). Les autorités corrompues et incompétentes du Liban ont délibérément plongé le pays dans l’une des pires crises économiques de l’époque moderne, faisant preuve d’un total mépris pour les droits de la population, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans son Rapport mondial 2022.
L’impact de la crise économique sur les droits des habitants est catastrophique et sans précédent. Près de 80% de la population du Liban vit désormais en-dessous du seuil de pauvreté, dont 36% dans une pauvreté extrême – contre 8 % en 2019. Et pourtant, les autorités libanaises ont obstinément refusé d’effectuer la moindre réforme susceptible d’atténuer l’impact de la crise, et elles ont à plusieurs reprises retardé la mise en œuvre de plans de protection sociale qu’elles avaient promis.
« L’indifférence flagrante des dirigeants libanais aux souffrances de la population, dans le contexte d’une des plus graves crises économiques des temps modernes, a un caractère quasi criminel », a déclaré Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « La communauté internationale devrait utiliser tous les outils dont elle dispose pour presser les décideurs politiques libanais de mettre en place les réformes nécessaires pour sortir le Liban de cette crise, y compris en infligeant des sanctions aux dirigeants responsables des graves violations des droits humains qui continuent d’être commises dans le pays ».
Dans son Rapport mondial 2022, dont c’est la 32e édition et qui compte 752 pages, Human Rights Watch examine les pratiques en matière de droits humains dans près de 100 pays. Kenneth Roth, son Directeur exécutif, y remet en question l’idée reçue selon laquelle l’autocratie serait en plein essor. Récemment, dans divers pays, de nombreuses personnes sont descendues dans la rue malgré le risque d’être arrêtées ou de se faire tirer dessus, preuve que l’attrait de la démocratie reste fort. Dans le même temps, les autocrates ont de plus en plus de mal à manipuler les élections en leur faveur. Pour Kenneth Roth, il n’en reste pas moins que les dirigeants démocrates doivent faire plus encore pour relever les défis au niveau national et mondial, et s’assurer que la démocratie tienne ses promesses.
La livre libanaise a perdu 90 % de sa valeur depuis octobre 2019, érodant la capacité des habitants à se procurer des biens ou des services fondamentaux, comme de la nourriture, de l’eau, des soins médicaux et une éducation. Des pénuries de carburant ont causé des coupures généralisées d’électricité, pouvant durer jusqu’à 23 heures par jour. Les générateurs privés – une solution de rechange coûteuse – n’ont pas suffi à combler tous les manques, ce qui laisse de larges secteurs du pays dans l’obscurité pendant plusieurs heures par jour.
Personne n’a été amené à rendre des comptes pour l’explosion catastrophique survenue le 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui a tué au moins 219 personnes et dévasté la moitié de la ville. Une enquête menée par Human Rights Watch a permis de découvrir des éléments tendant fortement à prouver que certains responsables gouvernementaux avaient connaissance des risques mortels que posait la présence dans le port de stocks de nitrate d’ammonium, et qu’ils avaient tacitement accepté ces risques. Une telle attitude s’apparente à une violation du droit à la vie.
Pourtant, les dirigeants libanais ont continué de faire obstruction et de retarder l’enquête nationale en cours sur cette catastrophe. Les familles des victimes et des organisations locales et internationales de défense des droits humains ont appelé à l’ouverture d’une enquête internationale et indépendante, mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, sur cette explosion de Beyrouth.
Pendant ce temps, les responsables libanais ont sévèrement limité l’exercice des libertés d’opinion et d’expression. Il n’y a eu aucun progrès significatif concernant l’enquête sur l’assassinat de Lokman Slim, un intellectuel renommé et critique fréquent du Hezbollah. Les autorités ont recours à des tribunaux militaires, avec beaucoup d’interrogations sur leur compétence et leur impartialité, pour intimider les citoyens ou exercer des représailles contre des auteurs d’opinions critiques ou des activistes.